Augmentation des inscriptions pour les étudiants non-européens : appel à la désobéissance universitaire

Augmentation des inscriptions pour les étudiants non-européens : appel à la désobéissance universitaire

5 décembre 2018 11 Par Igor Babou

L’augmentation des frais d’inscription des étudiants non-européens dans l’enseignement supérieur public a été annoncée par le Premier ministre le 19 novembre 2018. Alors que les étudiants européens ne paient actuellement que 170 € en licence, 243 € en master, et 380 € en doctorat, dès la rentrée 2019 les étudiants non-européens devront s’acquitter de 2770 € en licence et 3770 € en master et en doctorat. Chaque année.

Or, d’après les statistiques du ministère, les étudiants étrangers les plus nombreux en France sont les africains, ce qui est aisément vérifiable à partir d’un document statistique du ministère (« Les effectifs du supérieur : évolutions », chapitre 6.1, 2018) :

Le nombre d’étudiants de nationalité étrangère en France métropolitaine et dans les DOM a quasiment doublé entre 2000 et 2017 […]

À l’université, près d’un étudiant étranger sur cinq est originaire de l’Union européenne (18,6 %), un sur deux est originaire d’Afrique (49,9 %) et un sur cinq (18,6 %) est asiatique. L’origine géographique varie avec le degré d’études de la formation à l’université. Ainsi, les étudiants originaires d’Asie sont surreprésentés en cursus doctorat, où ils constituent 29,8 % des étudiants étrangers tandis que 55,2 % des étudiants de nationalité étrangère en cursus master sont originaires d’Afrique.

Ce sont donc les étudiants africains qui sont ciblés par cette mesure. Quelles en sont les justifications officielles ? Lisons donc les propos du ministre, tirés de l’annonce faite le 19 novembre 2018 :

Actuellement, la France est l’un des pays au monde où les droits d’inscription des étudiants internationaux sont les plus faibles : c’est presque comme s’ils n’existaient pas. En bref, un étudiant étranger très fortuné qui vient en France paye le même montant qu’un étudiant français peu fortuné dont les parents résident, travaillent et payent des impôts en France depuis des années. C’est absurde et injuste.

Il est faux de prétendre que pour des parents travaillant en France, un montant de 170 € par an (puis 243 €, puis 380 €) serait comme inexistant ! La crise des gilets jaunes montre, si besoin était, à quel point une partie de nos concitoyens a du mal à joindre les deux bouts.

Quant à l’opposition entre des étudiants « très fortunés » qui viendraient de l’étranger et les français peu fortunés, elle est doublement absurde : d’une part au regard des statistiques du ministère qui démontrent que la majorité des étudiants qui seront touchés par cette mesure seront les étudiants africains (peut-on dire qu’ils sont tous « très fortunés » ?), et d’autre part parce qu’elle néglige le fait que bien des étudiants étrangers doivent travailler en France pour payer leurs études et subvenir à leurs besoin, et qu’en conséquence ils paient des impôts dans notre pays. Sans parler des apports culturels et scientifiques de leur présence, qui est essentielle au fonctionnement et au rayonnement international de nos institutions de recherche et d’enseignement supérieur.

On sait par ailleurs que cette augmentation ciblée des étudiants non européens s’inscrit dans une stratégie visant à préparer les esprits à l’augmentation les frais d’inscription pour tous les étudiants, y compris les français (voir ici ou ).

Au-delà des statistiques et de ces considérations générales, quelle va devoir être maintenant notre attitude en tant qu’enseignants du supérieur après la mise en application de cette mesure ?

Il est pour moi insupportable d’imaginer que j’aurai bientôt affaire à deux catégories d’étudiants, certains ayant payé deux fois plus cher que d’autres pour assister à mes cours, sous le seul prétexte qu’ils sont non européens. Devrais-je les noter différemment pour tenir compte de leur investissement financier ? Des rapports de clientélisme vont-ils s’installer, compte tenu des montants non négligeables que ces étudiants et leur famille vont mobiliser pour mener leurs études en France ? Enfin, qu’est-ce qui garantit que le service qui sera fourni par les universités françaises sera à la hauteur de tels montants ? Cette mesure va mettre les enseignants du supérieur dans une situation éthiquement intenable, tant elle institue l’inégalité là où notre éthique de l’enseignement et de la recherche repose sur une vision humaniste et universaliste.

Mais trêve de constats : pensons plutôt à l’avenir et aux modalités de résistance à cette mesure.

Compte tenu de ce qui s’est passé lors des 20 précédentes années de réformes toutes aussi inacceptables du point de vue de l’éthique de la recherche et de l’enseignement supérieur, dont celle qui a conduit à instaurer la sélection à l’entrée de l’université, on peut approximativement prévoir ce qui va maintenant se passer. À des AG molles et bavardes vont succéder des tribunes humanistes et bien argumentées, puis des blocages rapidement et violemment dispersés par la police, éventuellement une demi-journée de grève à l’appel d’un syndicat minoritaire un samedi matin (pour ne gêner personne), et après ces quelques protestations d’usage tout rentrera dans l’ordre et chacun appliquera les réformes en faisant le dos rond. On passera alors aux réponses urgentes à l’ANR, aux évaluations urgentes de dossiers urgents, à l’urgence de l’organisation des examens, puis la remise urgente de notes de fin de semestre. Le tout avant de préparer fébrilement nos vacances qui seront ponctuées de mails urgents de notre administration.

C’est pourquoi il semble inutile de perdre notre temps dans cette spirale bien connue de l’échec.

Une autre voie serait préférable : celle de la désobéissance civile, appliquée à l’université. Voici ce que je propose : rien ni personne ne nous interdira jamais d’accueillir dans nos cours tout étudiant quel qu’il soit : français, européen, non européen, riche ou pauvre, africain ou asiatique, etc. Et personne ne pourra nous empêcher d’enseigner à des étudiants qui n’auraient pas réglé leurs frais d’inscription : la plupart du temps, nous ne nous occupons d’ailleurs pas de ces détails. Donc, rien ne peut nous empêcher d’évaluer chaque étudiant, inscrit ou non, ni de lui délivrer en notre nom propre un document attestant qu’il a suivi nos cours et que nous l’avons évalué et noté. Si chaque enseignant-chercheur de chaque UFR de l’université française décide d’agir ainsi, même les étudiants étrangers non-inscrits pourront attester, de retour dans leur pays, de la réussite à nos examens. C’est peut-être moins satisfaisant que d’obtenir un diplôme officiel, mais ce sera toujours mieux que de ne rien obtenir du tout. Ensuite, on peut parfaitement imaginer de nous constituer en association d’universitaires désobéissants aux réformes, et de mener un travail d’explication auprès des institutions des pays touchés par cette mesure d’augmentation des frais d’inscription. À charge pour eux de valider ou non les attestations de réussite que nous délivrerons. Ainsi, nous serons délivrés de l’infamie qui nous attend si nous contribuons à l’existence de cette université dans laquelle nous ne nous reconnaissons plus depuis trop longtemps.

Pour résister, il faut désobéir.