Greenwasher le greenwashing : marketing du radicalisme à la Cité Fertile

Greenwasher le greenwashing : marketing du radicalisme à la Cité Fertile

3 avril 2023 0 Par Igor Babou

Ce soir je suis tombé des nues. Et je suis très en colère. Une fois de plus…

Je découvre un peu Andréas Malm, qui explique qu’il faut saboter le capitalisme, faire sauter des pipe-lines, et qui célèbre dans Médiapart “l’avant-garde” que constitue à ses yeux la lutte anti-bassine de Sainte Soline : sur ce point, je ne le contredirai pas, même si je déteste au plus haut point cette notion surplombante et surfaite “d’avant-garde”. Elle a des relents détestables de léninisme façon arrière grand papa stalinien, non ?

Il est bien gentil Andrea Malm avec ses postures radicales et ses conseils en sabotage, mais ça ne l’a pas empêché de donner une conférence sur le “Capitalocène” à la Cité Fertile, à Pantin. Or, ce tiers lieu, fondamentalement capitaliste, est financé par BNP Paribas et déclare son amour à cette banque dans ses pages web. Et il sert par ailleurs de prestataire de service à des tas d’entreprises très très très vertes, et très très très éthiques, et super engagées politiquement à gauche surtout, comme Nike, Eiffage, Véolia, Ricard, Sodexo, EDF, Kronenbourg et j’en passe. On ne vient pas parler de sabotage du capitalisme et d’écologie dans un lieu financé par l’un des pires soutien contemporain du capitalisme, du colonialisme et des industries fossiles, et travaillant avec de telles entreprises. C’est au mieux une faute de goût, au pire – et plus vraisemblablement – une faute politique majeure.

Malm avait été invité dans ce tiers lieu par l’institut La Boétie : je pensais qu’il s’agissait du vieux think tank libéral des années 70. Ca semblait logique, bien que très naze, vu le contexte.

Mais non ! Après vérification, cet institut libéral La Boétie a disparu, et c’est en fait un autre institut La Boétie créé par… La France Insoumise, qui a commis cet impair lourd de sens ! Hé oui, c’est même un institut qui se revendique comme un lieu de formation politique et d’interface entre le mouvement LFI et les chercheurs

Et là, je me dis qu’il y a vraiment quelque chose qui déconne dans certains milieux de la gauche altermondialiste et dans l’écologie radicale si on en arrive à ce que cette gauche et ces intellectuels de l’écologie radicale ne prennent même pas la peine de vérifier ce qu’ils cautionnent en venant dans un lieu comme celui-ci.

Alors, sans doute ce lieu a-t-il été choisi “pour sa jauge” comme nous l’expliquait – en privé – quelqu’un de Médiapart qui y a également organisé une journée contre Total et le greenwashing, sans se dire que c’était obscène de réaliser cet événement ici, parce que Total est financé par BNP Paribas… qui finance la Cité Fertile où Médiapart vient critiquer Total. La “jauge” : excuse pathétique pour manque d’éthique et de clairvoyance, dans des médias qui par ailleurs nous donnent sans cesse des leçons de morale politique, voire de fact checking… Critiquer le greenwashing dans un lieu de greenwashing, c’est un peu… non, moi j’dis rien, hein, je vous laisse juger de la cohérence de la démarche.

Maintenant, apprenez la suite : la Cité fertile, avec quelques médias dits “alternatifs”, des ONG, et des think tanks de gauche est en train d’organiser un colloque de deux jours sur “l’écologie populaire”, et sur “ce que l’écologie fait à la gauche” (pour le moment, l’événement n’est annoncé que sur un site du gouvernement français : gage, sans doute, d’impartialité et de fermeté à l’encontre du capitalisme… mais j’ai d’autres sources, plus directes).

Hé ouais ! Soyons fous ! un festival d’écologie populaire organisé à la Cité fertile, qui est un lieu dédié au greenwashing de BNP Paribas et dont les tarifs de consommation sont tout sauf populaires… On y parlera peut-être même d’écologie décoloniale, qui sait ?, c’est si chic et tendance ! Même si les gardiens de la Cité fertile (car on vous fouille à l’entrée…) sont tous des gens racisés, et les publics à l’intérieur plutôt clairs de peau…

Mais le pire du pire de tout ce merdier, c’est qu’à deux pas de la Cité Fétide, il y a – ou il y avait… – le Laboratoire Écologique Zéro déchet, le premier lieu d’écologie populaire créé en banlieue parisienne. Un lieu que je connais bien pour y avoir mené plusieurs années d’enquête ethnographique, et à propos duquel j’ai publié un article et un livre qui montre les incroyables efforts et les belles avancées de cette écologie populaire, anticapitaliste, et libertaire, et son ancrage dans les milieux populaires.

Or, si le Laboratoire écologique zéro déchet va être expulsé dans 10 jours à peine en raison de la construction d’un “éco-quartier”, la Cité Stérile qui est à 20 mètres de là, elle, ne va pas être expulsée. Parce qu’elle a des soutiens puissants : soutiens politiques et financiers (dont la BNP), mais aussi soutiens intellectuels et médiatiques. Médiapart y vient se la jouer écolo-radical et réflexif, Andréas Malm vient y parler de sabotage du capitalisme, bref, tout baigne. J’imagine qu’on y verra peut-être même un jour Fatima Ouassak y parler d’écologie populaire…

Si c’est ça le monde de demain souhaité et anticipé par la pratique politique de LFI, par certains écolos radicaux (pas tous heureusement !), et par certains médias alternatifs, alors pour moi c’est fini : fini le soutien à LFI, fini les tribunes dans ces médias, et fini les amitiés et camaraderies militantes dans ces contextes de faux semblants.

Je vois bien que l’écologie radicale est, parfois à juste titre, un attracteur puissant pour des collectifs pleins d’énergie et de promesses, qui se dotent de médias souvent séduisants et convaincants. Mais parmi ces collectifs, on voit trop ceux dont les dents raclent le plancher, et dont les strapontins éditoriaux servent à fabriquer des carrières d’activistes qui se convertissent ensuite en consultants en politiques publiques. Je connais ce phénomène des “carrières d’activistes” pour l’avoir observé dans les milieux de la culture “alternative” en France, ou dans ceux de l’écologie militante en Argentine : rien de nouveau, chaque décennie, ou chaque crise, créant un peu les mêmes opportunismes et la même démagogie.

En ce qui me concerne, j’ai choisi mon camp, et le monde que j’espère pour demain… et ce n’est pas celui de ces collectifs, ni de ces créneaux éditoriaux et médiatiques chics et tendance : qu’ils aillent se faire foutre à la Cité Fétide où ils alimenteront la fausse gauche social-démocrate qui ne rêve que de pantoufles tout en se parant des atours du radicalisme. Un peu comme ces beaufs friqués qui sortent la veste à frange et la Harley le dimanche pour se la jouer Easy Rider le temps d’une virée entre croulants, avant de rentrer boursicoter le lundi matin.