France Pravda : sidérante médiocrité des médias français
15 mai 2017Entendu ce matin, sur France Culture, à propos de l’investiture de E. Macron, ce commentaire tout en subtile objectivité journalistique : « Il ne représente pas la France, il EST la France« . Le ton était celui du dithyrambe, de l’adoration fanatique du croyant à l’égard de son dieu vivant. Pas de doute, depuis le début de la campagne des présidentielles, les médias mainstream de ce pays ont montré leur visage propagandiste : nous sommes de retour dans l’URSS des années 50, à l’époque où la PRAVDA dictait au peuple le comportement servile qui était attendu de lui à l’égard de ses dirigeants, à grands coups d’adjectifs laudateurs… Comment de tels comportements de fanatisme religieux à l’égard du politique ont-ils pu s’installer dans un pays comme la France, où l’on se félicite pourtant que 80% d’une classe d’âge accède au baccalauréat, et où le doute philosophique est supposé faire partie de notre culture, tout comme la pensée critique est supposée être enseignée de l’école élémentaire à l’université ? Comment des propos aussi stupides peuvent-ils être déversés quotidiennement dans tous les médias depuis des semaines, sans aucun recul critique, sans la moindre intention analytique, sans la moindre pudeur ? Je suis sidéré, fasciné même – comme on peut être fasciné par quelque chose de morbide -, par la médiocrité incroyable du discours journalistique. Dans le contexte dégoulinant de la propagande pro-libérale à laquelle se livre le champ journalistique des médias possédés – dans tous les sens du terme – par les industriels et actionnaires du CAC 40, notre espace public est clairement devenu un espace de mystique politique où les odes au libéralisme sécuritaire et les dénonciations virulentes et moralisatrices de toute alternative potentiellement émancipatrice se succèdent, sur fond de critique d’un supposé « populisme ». Cette catégorie repoussoir du « populisme », justifie l’adoration servile des journalistes. Ils exigent alors de leurs auditeurs ou lecteurs, pour solde de tout compte démocratique, qu’ils se contentent du fait que M. Le Pen ne soit pas arrivée au pouvoir. Cette catégorie de « populisme » nous est donc assénée presque à chaque phrase. Il s’agit cependant d’une catégorie éminemment journalistique, jamais définie ni interrogée avant d’être mobilisée : et pour cause, comme pour le lexique du « bobo » ou celui de la « radicalisation », ces termes n’ont aucun contenu sociologique précis, mais constituent de simples stéréotypes du prêt à penser des écoles de journalisme. Des poncifs répétés à l’envie, comme s’il s’agissait de se rassurer : « nous avons évité le pire, donc maintenant arrêtons de penser, arrêtons d’espérer, soyons enfin de droite, vivons et pensons comme des porcs« . Et la classe intellectuelle, journalistique et universitaire, enfin soulagée de voir que ses points retraite et son salaire ne seront pas menacés du moindre partage égalitaire avec les plus démunis de nos concitoyens, rejoint le reste de la bourgeoisie possédante – et possédée -, dans un élan magistral de soumission à l’égard du libéralisme et de son nouveau et si jeune chantre : enfin libérés du diktat de l’émancipation et de la critique ! Ô joie ! Ô bonheur infini de ne plus avoir à lutter pour un autre monde ! There Is No Alternative ! Célébrons l’unanimisme de la soumission à l’état du monde tel qu’il est et tel qu’on ne le remettra pas en cause…
Et ce midi, toujours sur Radio Pravda, un panel de journalistes, et un historien accompagné d’une économiste libérale, se livraient à une herméneutique de Saint Macron. L’historien de service, c’était François Dosse, spécialiste d’hagiographie à Sciences Po (ah, non, on m’informe dans mon oreillette qu’en fait il est spécialiste de biographie et de Ricoeur…) et ancien professeur de Saint Macron avant son élévation. Il nous explique, fort doctement (normal pour un historien de Science Po) que Saint Macron est un héritier de Paul Ricoeur, qu’il incarne un esprit de Renaissance, qu’il réussira comme lui à dépasser l’opposition entre le noir et le blanc pour s’avancer vers les rivages admirables du choix complexe entre le gris et le gris. Les pieds dans la poussière quoi… peut-être dans la merde, même, on ne sait jamais. Car le monde est gris, quoi, nan mais c’est vrai y’en a marre des lectures archaïques en termes de rapports de pouvoir, de domination, tout ça c’est dépassé ! Puisqu’on vous dit que tout est trop complexe pour qu’on y change quoi que ce soit ! En revanche, il faut de doctes experts, à Science Po et ailleurs – qu’on imagine bien inspirés par Bruno Latour et son monde d’ingénieurs et d’industriels traduisant la complexité pour les gens intelligents et complexes -, pour faire de la Pé-Da-Go-Gie du complexe auprès du peuple extasié devant tant d’intelligence ! Derrière, l’économiste libérale (dont j’ai oublié le nom) qui a connu et milité avec Ricoeur rappelle que, quand même, la Shoah, le totalitarisme, tout ça, c’est pas bien et que le mal existe tout de même et que tout n’est donc pas gris : Dosse acquiesce, du bout des lèvres. C’est sur qu’une fois qu’on a fixé la borne du Mal Absolu du côté de la Shoah ou du totalitarisme soviétique, le gris-complexe-libéral de Ricoeur relu par Saint Macron devient un objet de délectation. On ira donc dire aux milliers de migrants noyés dans la Méditerranée pour des raisons sécuritaires, aux Grecs réduits à la pauvreté par le FMI, aux laissés pour compte du développement économique, etc., qu’il sont victimes d’un endoctrinement gauchiste et que s’ils se livraient enfin à une lecture complexe du monde, située entre le gris et le gris, ils vivraient tellement mieux ! Ah, mais on me souffle dans mon oreillette que les morts dus au libéralisme se comptent déjà par millions, et qu’ils ont peu de chance d’être sensibles à la complexité des nuances du gris là où ils sont enterrés. Hum… Saint Macron va nous régler tout ça, n’en doutons pas, grâce à « Temps et récit » de Ricoeur.