Stand up for science (France) : un appel qui ne fait pas rêver

Stand up for science (France) : un appel qui ne fait pas rêver

24 février 2025 0 Par Igor Babou

J’ai vu passer l’annonce de l’initiative « Stand up for science » dans l’appel de Pascal Maillard sur Mediapart que j’ai relayé ici. Je rappelle que la recherche et l’enseignement supérieur français sont extrêmement menacés, en ce moment-même, et une fois de plus, par des attaques venues cette fois de l’HCERES (un infect machin bureaucratique supposé évaluer nos formations et laboratoires, composé de larbins du pouvoir en place, et qui n’obéit plus qu’à l’idéologie managériale et utilitariste des forces réactionnaires). Nos libertés académiques disparaissent au fur et à mesure des interdictions de débats émanant de la « cancel culture » mandarinale des présidences d’universités – autres larbins au service des pouvoirs les plus réactionnaires- et ce sont maintenant près de la moitié des formations en Lettres et Sciences humaines et sociales qui sont appelées à disparaître au motif qu’elles ne seraient pas assez professionnalisantes, et surtout trop égalitaires.

Dans ce contexte qui n’a pas grand chose à envier à la fascisation en cours aux États-Unis, je devrais me réjouir d’une initiative visant à réunir l’université contre ces attaques. Je reste pourtant très mitigé, voire sceptique. En effet, l’appel affiche dans ses soutiens une brochette de célébrités scientifiques qui reproduisent un esprit mandarinal à l’ancienne, bien peu propice à susciter l’enthousiasme : passe encore pour Descola et Piketti, qui inspirent évidemment le respect mais qu’on n’a jamais vus en manif pour lutter contre la LRU ni contre le LMD, mais voir le nom de Cédric Villani, qui a été conseiller de Macron et de la sinistre Geneviève Vidal, là c’est too much.

Ensuite, dans l’appel – est-ce une maladresse ou un aveuglement ? – on note la paire « sciences et humanités« . Bon, les gars – ou les meufs, je sais pas – mais vous en êtes restés au moyen-âge des lettres et SHS ou quoi ? Quand je lis « humanités » pour décrire le vaste champ des Lettres et des Sciences humaines et sociales, j’ai juste envie de sortir mon revolver…

Et puis aussi cette absence d’auto-critique, notamment du caractère hégémonique des « vraies » sciences, c’est à dire les dures, les coloniales et bien genrées, celles qui ont si longtemps servi le capitalisme industriel et extractiviste et qui ne se réveillent que lorsqu’elles sont menacées dans leur hégémonie par les monstres qu’elles ont soutenu… : ça ne fait pas rêver.

Qui peut encore croire, après les décennies de travaux en sociologie des sciences, et après les apports essentiels du mouvement de l'(auto) critique des sciences, que les sciences seraient les « piliers d’une société démocratique » et croire en la validité du « principe de sciences libres, autonomes, et donc protégées des pressions politiques, religieuses et économiques » ?

Ce ne sont pas tant les sciences en général qui sont menacées par un pouvoir extérieur, comme le prétend Stand Up for Science France dans une vision très « corpo » et naïve des luttes académiques et des rapports de pouvoir, mais avant tout les Lettres et les SHS à visée critique, et par des critères managériaux – et aussi un mépris de classe, véritable racisme disciplinaire – qui ont été portés par les sciences dures, et qu’on subit au quotidien depuis des décennies. Ne pas se tromper de diagnostic est impératif avant d’envisager des actions, sinon on reconduira sempiternellement les échecs d’hier, qui sont fort nombreux, faute d’accord sérieux sur le diagnostic justement.

Pour info, c’est ici, mais ça fait vraiment pas rêver : standupforscience.fr/