Crise environnementale : pourquoi il faut questionner les « appels à agir d’urgence »
16 octobre 2018Un article de Joëlle Le Marec et moi-même dans The Conversation :
Natures, savoirs & sociétés
Un article de Joëlle Le Marec et moi-même dans The Conversation :
Et allant dans le même sens, un texte savoureux et vigoureux de F. Lordon dans son blog du Diplo : https://blog.mondediplo.net/appels-sans-suite-1
parfois, le regard historique sur l’environnement est riche d’enseignements. Voici par exemple un texte rédigé par Raoul de Clermont en 1923. Il s’agissait d’une lettre d’invitation à assister au premier congrès international de protection de la nature à Paris (au MNHN) :
« La Nature, dans ses trois règnes, est de toute part menacée par les progrès de l’industrie. L’activité de l’homme gagne des régions jusqu’ici inaccessibles à ses entreprises ; son caprice ou son utilitarisme imprévoyant mettent en péril l’existence d’un grand nombre d’espèces animales et végétales.
Ceux même [sic] des animaux que devrait [sic] préserver leur utilité, leur rareté ou leur beauté, sont pourchassés, massacrés, détruits, voire à la veille de l’extinction ; les espèces botaniques, isolées ou groupées en stations et forêts, sont victimes de funestes innovations, qui, sous le très louable couvert de progrès industriels, nous ravissent l’aide salutaire de l’arbre, ou gâtent l’harmonie de nos sites les plus pittoresques, de nos plus magnifiques paysages, détruisant parfois d’admirables témoins des temps géologiques.
Tous les amis, tous les défenseurs de la Nature doivent se grouper pour élever la voix, rédiger des protestations efficaces et exercer une action protectrice qui sauvegarde pour l’avenir notre patrimoine naturel ».
Après ça, qu’on ne vienne pas nous dire que les appels à l’Etat sont importants, que seul l’Etat sera efficace pour protéger la nature, etc. Il y en a eu de ces appels depuis deux siècles, et ils sont restés lettre morte non pas parce qu’ils auraient manqué leur cible, ou non pas par manque de compétences communicationnelles que quelques marketeurs d’ONG pourraient compenser, mais parce qu’il n’est pas dans l’intérêt d’un Etat capitaliste de protéger la nature. Le reste, je le laisse aux naïfs ou aux adorateurs positivistes de l’Etat : qu’ils s’arrangent avec leurs croyances, et avec les faits historiques !
Il n’est pas inutile, non plus, pour contrer le sens commun sociologique de certains à propos des opinions publiques, de se pencher sur les enquêtes de Daniel Boy et de l’Ademe à propos de la sensibilité environnementale. Voici la conclusion d’une enquête de l’ADEME de 2007, qui montre que le public est depuis longtemps convaincu et informé, sans besoin de coercition étatique, des enjeux :
« Indéniablement, la sensibilité environnementale va croissante dans l’opinion publique et ce qui est nouveau pour l’année 2007, c’est le rythme de progression de cette sensibilité, très important, et la place prépondérante qu’y occupe le changement climatique. Les Français identifient très clairement et depuis longtemps le transport comme cause d’accroissement de l’effet de serre. Dans cette logique, ils accepteraient volontiers, et de plus en plus nettement, que soient taxés les véhicules les plus polluants. En revanche, l’augmentation du prix des carburants ne rencontre l’adhésion que d’un cinquième des personnes interrogées. Cela tient notamment au fait que beaucoup d’entre elles considèrent qu’elles subissent leur mode de déplacement, alors qu’elles ont le choix du modèle de leur voiture. Dans le domaine du bâtiment et concernant l’impact des consommations des ménages dans leur logement, les résultats montrent combien la prise de conscience est croissante, ce qui devrait aller de pair avec une acceptabilité grandissante des mesures réglementaires. D’autant que dans le cadre du Grenelle, des dispositifs incitatifs tels que les éco-prêts à taux zéro ou le crédit d’impôt sont en voie d’être mis en place ou renforcés, autant d’atouts pour transformer la sensibilité acquise en actes concrets. »
http://www.agrobiosciences.org/IMG/pdf/ADEME-rechauffement-2-08.pdf
Donc, encore une fois, on a tous les éléments empiriques en main pour démontrer que ce qui bloque, ce n’est pas l’infantilisme des populations. Or, cela, on le sait depuis longtemps. La question c’est : pourquoi des scientifiques comme Aurélien Barrault ou des journalistes comme Sylvestre Huet refusent-ils d’argumenter sur des bases empiriques, et pourquoi en restent-ils à des croyances archaïques démontées par toutes les études sérieuses en sciences sociales ? Sans doute que le refus de mener une autocritique et le besoin de rester dans une zone de confort idéologique explique bien des choses.
Autre élément d’information sur l’opinion publique à propos d’environnement, cette fois-ci au niveau européen. En 2005, un Eurobaromètre de l’opinion publique produisait le résultat suivant : « 63% des sondés jugent ainsi que la protection de l’environnement constitue un objectif plus important que l’amélioration de la compétitivité économique de l’Union (seules 24% des personnes interrogées se disant d’un avis contraire).
La source du sondage : https://www.euractiv.fr/section/sciences-legislation/news/eurobarometre-les-citoyens-europeens-reclament-une-politique-de-l-environnement-ambitieuse-fr/