Lisle-sur Tarn, Albi, Gaillac, reportage
« Pour moi, un de nos frères n’est plus là, il ne peut plus parler, plus respirer, plus boire, plus faire la fête, plus embrasser les enfants et ça, ça change tout. » Ce matin, sur la ZAD du Testet, la tristesse se mêlait aux doutes, aux interrogations, aux habituelles crises de conscience devant pareille tragédie. Qui est responsable ? Comment en est-on arrivé là ?
Trente-six heures après les faits, la Brigade d’identification criminelle de la gendarmerie de Toulouse s’est enfin rendue sur les lieux pour effectuer son travail, devant une assemblée attentive et calme d’opposants. Il faudra encore attendre lundi soir pour avoir les résultats de l’autopsie.
Une expertise légale tardive qui confirme la mort par explosion
Trente-six heures après les faits, la Brigade d’Identification Criminelle de la Gendarmerie de Toulouse s’est enfin rendue sur les lieux pour effectuer son travail, devant une assemblée attentive et calme d’opposants. Ce n’est que le soir venu, lundi, que le procureur d’Albi indiquera des éléments supplémentaires. Selon l’expertise du médecin légiste : « une plaie importante située en haut du dos de Rémi Fraisse a été causée, selon toute vraisemblance par une explosion » qui « a projeté le jeune homme au sol de manière violente » causant « une mort instantanée ».
Pour autant, le médecin ne se risque pas à « affirmer ni infirmer que l’origine de la plaie proviendrait d’une grenade lancée depuis la zone où les Genndarmes se trouvaient ».
Lundi soir, une nouvelle analyse légiste a été demandée par la famille et les proches de Rémi, tandis que l’on connaitra ce mardi les résultats issus du laboratoire de police scientifique de Toulouse, bien que l’on sache déjà que les manifestants ne disposaient que de feux d’artifice et en aucun cas de grenades de toute sorte. Mardi 28 octobre, l’avocat de la famille, Elié Alimi, devait déposer plainte contre X, afin que l’affaire soit instruite par un juge, et non par le procureur.
Des interrogations sur le contexte précédant la mort de l’opposant
« Tout a progressé vers la tragédie de la nuit de samedi à dimanche. » Voilà comment un habitué du mouvement nous présente la situation quand nous l’interrogeons sur les événements de ce week-end.
– Les enquêteurs sur les lieux du drame, lundi 27 octobre. –
L’engrenage aurait commencé vendredi. Les organisateurs de la manifestation avaient expressément demandé à ce qu’aucun policier ne soit présent sur le site durant le week-end et que tout le matériel de chantier soit évacué. Sauf que le vendredi soir, on trouvait à côté du local technique une petite machine génératrice, entourée de trois vigiles.
« C’était une chèvre, pour nous appâter », assure un autre occupant. Et effectivement, « à plusieurs, on est allé faire chier les vigiles. Vers une heure du matin, le samedi, quand l’Algeco a commencé à brûler, ils ont appelé les flics ».
Relativement peu violents, les affrontements dureront une partie de la nuit. Chepchep, présent à ce moment témoigne : « On les attaquait avec des petits tas de terre, ils ont tout de suite riposté avec des grenades lacrymogènes, des grenades assourdissantes et nouveauté, des grenades explosives. Les copains, cachés dans une tranchée, recevaient les grenades comme dans un piège. »
Présence et pression policières
Au final, la police restera toute la nuit et durant tout le rassemblement du week-end, « alors qu’il n’y avait plus rien à protéger. Ils avaient peut-être peur qu’on prenne le contrôle de la zone en vue de la reprise du chantier le lundi. »
Interrogation également sur le maintien de leur présence massive, samedi soir, après 21 heures, alors que selon le responsable de la gendarmerie lui-même « les choses se sont alors calmées. »
Pourtant, deux heures plus tard, les cordons de police étaient toujours présents sur le site. Hugo, qui voyait la scène d’un peu plus loin raconte : « Jusqu’à 2 heures et demi, on voyait par coups sporadiques des lumières de grenades assourdissantes, de désencerclement et des feux d’artifice. C’était très violent ce soir là. » Il ajoute : « C’était quelques minutes après deux heures du matin, d’un coup on n’a plus entendu les détonations. Les combats ont peut être continué mais il n’y a plus eu de coups bruyants. »
Cette présence policière est à relier avec la constante pression qu’ont subie les occupants depuis le début du chantier, avec brimades, humiliations, expulsions illégales et violences physiques répétées. La nuit où Rémi à été tué, au moins dix personnes ont dû être évacuées à l’hôpital dont trois avec des blessures graves, du type tirs de flashballs dans la tête. « Cette présence policière permanente ne peut pas être détachée de la tragédie », nous confirme-t-on.
Un mouvement qui peine à contenir ses pulsions radicales
D’autres attestent par ailleurs de l’arrivée massive et coordonnée de personnes cagoulées vers 16 heures. Chepchep raconte : « A partir de vendredi, on a vu des gens affluer sur la zone. Ils font pression, on a du mal à s’entendre et ils passent en force, contre les décisions collectives. »
Un sentiment confirmé par un militant de longue date sur la zone : « J’ai croisé ceux qui sont partis le samedi vers 16 heures pour en découdre. On ne les connaissait pas. Ils avaient un discours très sommaire, disaient n’avoir de compte à rendre à personne, mais étaient très organisés et disposaient de leur propre équipement pour aller à l’affrontement. »
Devant les événements, la rage et colère des personnes violentes semblent prendre le pas sur la volonté collective de commémorer dans la paix la mort de leur camarade. À cela s’ajoute la probable présence marginale de groupuscule d’extrême-droite identitaires. Le mouvement fait face à certaines contradictions comme l’admet Camille : « On ne fait pas de tri. Quel que soit ton but, tes opinions, si tu luttes contre le projet, tu as ta place. »
Rémi Fraisse protégait la renoncule à feuille d’ophioglosse
Pour les amis et la famille, il est encore difficile d’évoquer la mémoire de celui qui est mort dans la nuit de samedi à dimanche au Testet. On en sait cependant un peu plus sur Rémi Fraisse, ce jeune de 21 ans.
Originaire de la région, il était étudiant à Toulouse et avait effectué un BTS dans le domaine de l’environnement. Engagé, il faisait partie de l’association Nature Midi Pyrénées. Dans un communiqué, Jérôme Calas, président de l’association explique : « Rémi faisait partie de cette jeune génération de bénévoles investis dans les actions de l’association. Très actif au groupe botanique depuis plusieurs années, il participait notamment au suivi de la flore protégée en Haute-Garonne où il assurait la coordination du suivi de la Renoncule à feuille d’ophioglosse. L’association et notamment le groupe botanique où il avait de nombreux amis est sous le choc de la disparition de ce jeune bénévole passionné. »
– Renoncule à feuille d’ophioglosse –
Selon d‘autres témoignages, il semblerait que ce week-end était la première visite de Rémi sur la Zone du Testet.
Dimanche soir : Une manifestation sous tension à Gaillac
Dimanche soir, vers 18 heures, nombre de voitures convergeaient vers Gaillac pour une manifestation improvisée. Sur la place centrale de la ville, plus de mille personnes s’organisent en assemblée générale spontanée pour savoir quoi faire ensuite, partagés entre des tentations d’aller jusqu’au commissariat ou de rentrer sur la zone.
À peine Ben Lefetey, le porte-parle du Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet, a-t-il le temps d’annoncer la suspension des travaux par la préfecture que la situation dégénère.
D’un côté, les uns accusent la gendarmerie d’avoir déployé des camions de gardes mobiles tout autour de la place et d’avoir tiré sans sommation des lacrymogènes sans laisser aux manifestants le temps de se retirer.
De l’autre, nous avons pu constater sur place une colère importante d’une partie du groupe qui trouvait « scandaleux de devoir rentrer alors que l’un des nôtres est mort » et qui a jeté des pierres sur une banque et une voiture voisines, avant de refluer vers la place avec l’assaut policier.
Quel que soit l’origine du trouble, ce qui devait être un hommage pacifique s’est transformé une nouvelle fois en affrontement, la majorité du groupe quittant les lieux avec la dispersion des gaz lacrymogènes dans les rues adjacentes, les autres restant sur place encerclés et gazés jusqu’à ce qu’interviennent les brigades de clowns activistes, comme l’explique un communiqué du collectif Tant qu’il y aura des Bouilles :
« Le rassemblement à Gaillac s’est terminé dans le calme grâce aux clowns et à la volonté du plus grand nombre de ne pas se laisser entraîner dans la violence, ce qui n’aurait fait que desservir notre cause. »
Malgré la volonté du Collectif Testet d’annuler un nouveau rassemblement à Albi ce lundi, dès 13 heures, les voitures convergeaient depuis la ZAD jusqu’au Conseil général et la Préfecture, sans échauffourées à signaler jusqu’à cette heure.
Pendant ce temps, les experts du ministère de l’écologie donnaient les conclusions du rapport d’expertise sur le projet, qui reprend nombre d’arguments soulignés depuis des mois par le Collectif Testet.
Des manifestations dans plusieurs villes de France
Lundi, de nombreux autres rassemblements se sont déroulé dans le pays, à Toulouse, Nantes, Strasbourg et bien sûr Albi, dans le Tarn, où environ cinq cent personnes ont convergé à partir de 14 heures devant la Préfecture « pour Rémi » comme le clamèrent les nombreux slogans. Cette fois, les dérapages furent moins nombreux que la veille, du fait de l’important dispositif policier mais aussi de la volonté des manifestants de ne pas reproduire la situation de la veille.
Après une action allongée par terre devant la Préfecture pour symboliser la mort de leur camarade, le cortège s’est déplacé vers le tribunal de grande instance, avec des tentatives de déterrer des pavés et de construire des barricades. Mais le déploiement policier ne leur laissant pas le temps et encercla rapidement coupant le cortège en plusieurs groupes.
Une enquête de Médiapart, qui fait le point sur les violences policières, souvent illégales, envers les manifestants :
http://www.mediapart.fr/article/offert/33322af80bbdd3534f13fbd5539bd4e4
A quand une vaste réforme de la police et de la gendarmerie pour que cessent ces pratiques insupportables, inhumaines et illégales ?
A lire également, sur Reporterre, un texte de Pierre Larrouturou qui était présent au Testet lors de la manifestation pacifique suite à laquelle Rémi Fraisse a été tué. Son regard sur le déroulement des événements et les responsabilités de l’État français me semble essentiel :
http://www.reporterre.net/spip.php?article6516
A lire également, un hommage à Rémi Fraisse de l’asso Agir pour l’environnement :
http://0o.mj.am/nl/0o/su3u8.html
Et maintenant, des témoignages, de plus en plus précis et documentés, de l’infiltration des manifs par des policiers en civil déguisés en casseurs, et affichant une tête de mort : réminiscences sordides du « viva la muerte » des fascistes espagnols et de l’imagerie nazie, portés par des fonctionnaires de la République, en toute impunité…
http://www.reporterre.net/spip.php?article6535
Une analyse intéressante à lire ici sur le recours à la « violence » (ou plutôt sur les formes de résistance) :
http://lignesdeforce.wordpress.com/2014/11/07/un-barrage-contre-le-pacifisme-par-aurelien-berlan/
Sur le même thème de réflexion (violence/non violence), cette tribune de Reporterre, qui est décidément, avec Bata!, l’un des médias les plus intéressants à lire en ce moment, à des années lumières au dessus de la presse généraliste française et de sa médiocrité :
http://www.reporterre.net/spip.php?article6590