Centralités, périphéries et mobilités dans la production des savoirs scientifiques et de santé en outre-mer : représentations, déplacements et médiations
20 novembre 2012Programme OSOI – Observatoire des Sociétés de l’océan Indien
Direction scientifique : Igor Babou
Les phénomènes de mobilité et de contacts de cultures sont souvent analysés à partir de l’expatriation de communautés culturelles, les migrations mises en œuvre déterminant alors des formes de diasporalisation, des rencontres ou confrontations interculturelles, et parfois des transformations identitaires, linguistiques ou culturelles. Cependant, très peu de travaux analysent les mobilités dans la recherche scientifique. Nous travaillerons à l’identification et à l’analyse des savoirs académiques et sociaux mis en jeu dans le cadre de ces mobilités, des acteurs porteurs de ces savoirs, et des médiations sociales ou discursives qui font le lien entre les lieux de départ et ceux d’arrivée des chercheurs.
La Réunion et sa région constituent un espace intéressant pour renouveler l’ensemble de cette problématique du développement, des contextes post-coloniaux, et de l’inscription des sciences dans ces processus. Sa position de proximité géographique et culturelle avec les pays du Sud tout en étant elle-même le lieu de mises en œuvre de politique de développement financés depuis la métropole, et tout en contribuant par ailleurs en tant que région européenne ultrapériphérique au développement des Suds, en fait un cas intermédiaire entre la situation des pays du Nord, et ceux du Sud.
C’est dans ce contexte que nous proposons d’analyser les dynamiques du rapport entre sciences, santé et société à partir des déplacements de chercheurs et des médiations (discours de justification, organisations, programmes de recherche, modèles de relations interculturelles, modèles de communication, légitimités scientifiques, etc.) qui les construisent.
L’enjeu est de renouveler le regard sur les contacts de culture en focalisant l’attention sur les relations entre savoirs locaux et savoirs académiques, entre représentations vernaculaires et représentations véhiculaires du développement, entre centralités et périphéries scientifiques, voire de déconstruire les cadres dans lesquels ces tensions topographiques et symboliques ont émergé.
Chercheurs invités (journée d’étude) :
Joëlle Le Marec, Professeur à l’Université Paris Diderot, membre du CERILAC (Paris 7) et chercheur associée au Centre Norbert Elias (UMR 8562 – EHESS/ENS de Lyon/Université d’Avignon). Intervention en plénière :
« Le terrain lointain : les représentations d’autrui dans la recherche participative contemporaine. Le cas d’une recherche environnementale Nord Sud »
Résumé : « Je traiterai dans cette intervention de la manière dont une recherche contemporaine sur des questions agricoles et environnementales menée en Afrique (Sénégal) a pu amener progressivement dans les relations entre équipes du Nord et du Sud, une confrontation difficile entre des conceptions et des formes contemporaines de la participation, qui correspondent à un idéal valorisé de modernité politique interculturelle et interdisciplinaire, et des représentations contre-dépendantes d’un imaginaire du dépassement des rapports coloniaux qui oriente les collaborations sans faire l’objet d’une exigence de connaissance de la part des chercheurs. On observe des dissymétries fortes entre la maîtrise des conditions de production du savoir scientifiques en sciences de la nature, et un état du questionnement assez faible lorsqu’il s’agit de la maîtrise réflexive de savoirs relatifs aux relations post-coloniales. »
Philippe Hert, Maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille 3, Centre Norbert Elias (UMR 8562 – EHESS/ENS de Lyon/Université d’Avignon) :
« Recherches localisées et communications en réseau : contrastes dans les pratiques de la recherche internationalisée »
Résumé : « Les études de sciences mettent l’accent sur deux tendances qui peuvent paraître contradictoires dans l’évolution de la recherche internationalisée contemporaine. En premier lieu, l’accent est mis sur le caractère toujours plus situé et incarné des conditions de production de savoirs complexes. On promeut ainsi l’attention aux savoirs locaux (savoirs des habitants, des usagers, etc.) reliés à des contextes et des pratiques dont ils ne peuvent s’autonomiser. Sur le plan académique, on développe des types de savoirs fondamentalement hétérogènes et pluriels. Ces conceptions sont fortement liées à des situations où le corps du chercheur est engagé dans des lieux où il apprend tout autant par l’épreuve de la différence que par la mise en œuvre de grilles théoriques et de techniques normées de collecte et de traitement.
Simultanément, l’internationalisation de la recherche favorise des modes d’échanges et de communication « hors sol » où sont privilégiés les formats qui standardisent les types de données et d’interprétations.
Les pratiques de communication en réseau peuvent alors radicaliser ces tendances contrastées de la recherche contemporaine internationalisée.
Chercheurs de l’Université de La Réunion :
Jean Claude Carpanin Marimoutou, Professeur à l’Université de La Réunion, LCF :
« Penser et écrire au-delà de la nation : ce que les processus de créolisation et les voix subalternes font à la littérature et à la théorie postcoloniale ».
Résumé : « L’objectif est double :
- Il s’agit de montrer comment les littératures vernaculaires issues des processus de créolisation remettent en question les notions de nord et de sud, de centre et de périphérie, de nation et d’empire par des stratégies textuelles fondées sur le feuillettement et l’interpénétration des langues, des genres, des mémoires, des récits.
- A partir de textes canoniques de la littérature « occidentale », il s’agit de montrer comment la présence spectrale de l’empire colonial et la tentative de représentation des non européens a des effets retour déstabilisants sur l’écriture romanesque ou poétique ; brouillage des représentations, mise en question de la vérité des récits, surgissements inattendus des paroles « subalternes » à l’intérieur de la voix narrative, dialogisme conflictuel qui inscrit l’hétérogénéité à l’intérieur des focalisations et ouvre des failles dans l’ordre du discours. »
Igor Babou, Professeur, Université de La Réunion, LCF :
« Déplacements, territoires et médiations : au-delà de la logistique. Identités, légitimités et réflexivité dans l’enquête de terrain et en analyse de discours. ».
Résumé : « Tout déplacement relève à la fois d’une logistique (aspect matériel) et d’une symbolique (liée à des territoires, des identités, des légitimités). Cette constitution hybride des déplacements en fait des analyseurs de transformation ou de processus intéressants pour comprendre les relations entre des textes, des lieux, des médiations, des gens et des actions engagés dans des rapports socio-discursifs complexes, comme ceux que l’on observe dans les confrontations de savoirs et d’identités. A partir d’une série de travaux menés tant en analyse de discours que sur des terrains ethnographiques situés (institutions du savoir en métropole, patrimonialisation environnementale en Argentine, sciences et sociétés), je montrerai que les phénomènes de déplacement, permettent d’analyser certaines relations entre savoirs, nature et société. Enfin, le déplacement, parce qu’il engage aussi le corps du chercheur dans l’enquête de terrain, est une invitation à la réflexivité. »
Jérôme Queste (Cirad) : « Modélisation d’accompagnement: de nouveaux artéfacts pour la médiation des interactions entre scientifiques, gestionnaires et acteurs locaux. »