La fête de la science est une obscénité

La fête de la science est une obscénité

2 octobre 2020 9 Par Igor Babou

Les médiateurs, journalistes, communicants et scientifiques qui contribuent à la fête de la science doivent assumer qu’ils collaborent avec un pouvoir dont la seule obsession est de détruire la recherche et l’enseignement supérieur. Dans cette « fête », la pratique de la vulgarisation et de la médiation scientifique se montre sous son jour le plus propagandiste, celui d’une fabrique indécente de fake news représentant une science heureuse, joyeuse, bien financée, indépendante et rationnelle : un crachat à la figure des chercheurs/ses et des universitaires en lutte depuis des années pour une science libérée du joug utilitariste, de l’autoritarisme bureaucratique et des pressions financières et politiques.

Je m’explique, car visiblement ça ne va pas de soi pour les journalistes et communicants…

Depuis 15 ans, et plus particulièrement depuis la séquence Pecresse/Fiorasso/Vidal, la recherche et l’université françaises ont subi le pire  : succession de réformes ineptes jamais débattues démocratiquement et hostiles aux savoirs et pratiques de la recherche, précarisation des personnels et des étudiants, paupérisation des labos, non remplacement des départs en retraite, brutalité à l’égard des étudiant.e.s, CRS intervenant violemment jusque dans les amphis, autoritarisme patronal des néo-mandarinats que sont devenus les présidences d’universités, bureaucratisation extrême du travail digne du centralisme des ex républiques soviétiques, assujettissement au marché conduisant à des recherches à court terme et à la disparition progressive et planifiée de la recherche fondamentale. Et maintenant on a des clusters de Covid qui mettent des vies en danger dans des universités non préparées alors qu’on savait que ça allait arriver depuis des mois, et on doit fonctionner en mode « démerdentiel » dans des amphis bondés, pas aux normes, avec du matériel de projection qui ne fonctionne pas, des personnels techniques et administratifs dépassés ou malades, j’en passe et des meilleures. En fait, cela fait des décennies que tous ces problèmes sont connus : le Covid ne fait que révéler des dysfonctionnements anciens, et amplement documentés et dénoncés.

Mais de quoi nous parlent donc les vulgarisateurs-médiateurs-plumitifs de science durant ce non-événement qu’est la défête de la science ? De Star Wars, des ours en peluche, et de tas d’autres idioties permettant d’apprendre en s’amusant c’est à dire en consommant benoitement de l’innovation numérique, parce que c’est trop tendance, trop moderne quoi, t’vois ? Si si, c’est ‘achement moderne la « révolution numérique ». Tout ça niaisement ludique, parce qu’il faut que le public, infantilisé, s’amuse en apprenant… Si je dis que la vulgarisation classique, celle qui ne porte que sur des contenus scientifiques, est une opération de propagande, c’est parce qu’elle détourne le regard de ce sur quoi il faudrait le porter si on voulait réellement soutenir la recherche.

Mais où sont les appels au soutien du public pour la recherche ? Où sont les dénonciations de la destruction en cours de l’université, du CNRS, etc. ? Où sont les soutiens dont on aurait eu tant besoin depuis… 25 ans maintenant ! Toute cette vulgarisation à deux balles occulte les conditions de possibilité économique, politique et organisationnelle de la production – et maintenant de la destruction – des savoirs. Au-delà de la défête de la science, le travail des journalistes de vulgarisation et des communicants des institutions scientifiques brille généralement par son indigence. En dehors de The MetaNews, de The Sound of Science et du blog de Sylvestre Huet, je vois mal qui parmi les journalistes scientifiques fait un réel travail d’information du public sur la science dans sa complexité comme métier soumis à des politiques publiques, et non comme une simple production de contenus à vulgariser pour l’amusement du public.

La « fête » de la science est une obscénité dans le contexte actuel, et la décence voudrait qu’on refuse de s’associer à cette infâme propagande, à cette idéologie comme on disait à l’époque où Philippe Roqueplo et Baudouin Jurdant menaient des recherches sur la vulgarisation. La fête de la science n’est qu’une défaite morale, scientifique et politique.

C’est pourquoi j’en appelle aux journalistes médiateurs, etc., afin qu’ils et elles boycottent la (dé)fête de la science, ou bien qu’ils et elles la détournent, la piratent, la hackent, pour inciter le public à comprendre que la recherche et l’enseignement supérieur français sont en cours de destruction là, maintenant, tout de suite, sous nos yeux, tandis que tout le monde regarde ailleurs.