La fête de la science est une obscénité
2 octobre 2020Les médiateurs, journalistes, communicants et scientifiques qui contribuent à la fête de la science doivent assumer qu’ils collaborent avec un pouvoir dont la seule obsession est de détruire la recherche et l’enseignement supérieur. Dans cette « fête », la pratique de la vulgarisation et de la médiation scientifique se montre sous son jour le plus propagandiste, celui d’une fabrique indécente de fake news représentant une science heureuse, joyeuse, bien financée, indépendante et rationnelle : un crachat à la figure des chercheurs/ses et des universitaires en lutte depuis des années pour une science libérée du joug utilitariste, de l’autoritarisme bureaucratique et des pressions financières et politiques.
Je m’explique, car visiblement ça ne va pas de soi pour les journalistes et communicants…
Depuis 15 ans, et plus particulièrement depuis la séquence Pecresse/Fiorasso/Vidal, la recherche et l’université françaises ont subi le pire : succession de réformes ineptes jamais débattues démocratiquement et hostiles aux savoirs et pratiques de la recherche, précarisation des personnels et des étudiants, paupérisation des labos, non remplacement des départs en retraite, brutalité à l’égard des étudiant.e.s, CRS intervenant violemment jusque dans les amphis, autoritarisme patronal des néo-mandarinats que sont devenus les présidences d’universités, bureaucratisation extrême du travail digne du centralisme des ex républiques soviétiques, assujettissement au marché conduisant à des recherches à court terme et à la disparition progressive et planifiée de la recherche fondamentale. Et maintenant on a des clusters de Covid qui mettent des vies en danger dans des universités non préparées alors qu’on savait que ça allait arriver depuis des mois, et on doit fonctionner en mode « démerdentiel » dans des amphis bondés, pas aux normes, avec du matériel de projection qui ne fonctionne pas, des personnels techniques et administratifs dépassés ou malades, j’en passe et des meilleures. En fait, cela fait des décennies que tous ces problèmes sont connus : le Covid ne fait que révéler des dysfonctionnements anciens, et amplement documentés et dénoncés.
Mais de quoi nous parlent donc les vulgarisateurs-médiateurs-plumitifs de science durant ce non-événement qu’est la défête de la science ? De Star Wars, des ours en peluche, et de tas d’autres idioties permettant d’apprendre en s’amusant c’est à dire en consommant benoitement de l’innovation numérique, parce que c’est trop tendance, trop moderne quoi, t’vois ? Si si, c’est ‘achement moderne la « révolution numérique ». Tout ça niaisement ludique, parce qu’il faut que le public, infantilisé, s’amuse en apprenant… Si je dis que la vulgarisation classique, celle qui ne porte que sur des contenus scientifiques, est une opération de propagande, c’est parce qu’elle détourne le regard de ce sur quoi il faudrait le porter si on voulait réellement soutenir la recherche.
Mais où sont les appels au soutien du public pour la recherche ? Où sont les dénonciations de la destruction en cours de l’université, du CNRS, etc. ? Où sont les soutiens dont on aurait eu tant besoin depuis… 25 ans maintenant ! Toute cette vulgarisation à deux balles occulte les conditions de possibilité économique, politique et organisationnelle de la production – et maintenant de la destruction – des savoirs. Au-delà de la défête de la science, le travail des journalistes de vulgarisation et des communicants des institutions scientifiques brille généralement par son indigence. En dehors de The MetaNews, de The Sound of Science et du blog de Sylvestre Huet, je vois mal qui parmi les journalistes scientifiques fait un réel travail d’information du public sur la science dans sa complexité comme métier soumis à des politiques publiques, et non comme une simple production de contenus à vulgariser pour l’amusement du public.
La « fête » de la science est une obscénité dans le contexte actuel, et la décence voudrait qu’on refuse de s’associer à cette infâme propagande, à cette idéologie comme on disait à l’époque où Philippe Roqueplo et Baudouin Jurdant menaient des recherches sur la vulgarisation. La fête de la science n’est qu’une défaite morale, scientifique et politique.
C’est pourquoi j’en appelle aux journalistes médiateurs, etc., afin qu’ils et elles boycottent la (dé)fête de la science, ou bien qu’ils et elles la détournent, la piratent, la hackent, pour inciter le public à comprendre que la recherche et l’enseignement supérieur français sont en cours de destruction là, maintenant, tout de suite, sous nos yeux, tandis que tout le monde regarde ailleurs.
Bonjour Igor
J’espère que tu me pardonneras de reprendre le « tu » que tu m’avais obligemment accordé, alors que nous ne nous connaissons que par écrits interposés.
Mon parcours et mes modestes écrits témoignent par eux-mêmes d’un regard de praticien modestement critique et prudent vis-à-vis des idéologies de la vulgarisation, de l’innovation, et de la pensée publicitaire et gestionnaire. Cependant, ce qui me différencie de toi est que j’ai fait le pari de l’Education Populaire en face/face, émancipation politique des classes modestes (dont je viens) via le partage présentiel de connaissances et de leurs conditions de production. A ce titre, j’ai participé aux fêtes de la science (actuelmt, via le Festival des 2 Infinis).
Je n’ai pas attendu ton appel pour « hacker » l’événement avec une mise en politique « popularisée » des sciences. Et je suis loin d’être le seul. Ce qui me laisse à croire, pardonne-moi cette supposition, que tu n’as pas dû aller sur le terrain de la « vulgarisation » depuis longtemps. Pourquoi pas y retourner pour « vulgariser »/ »intermedier »/ »mettre en culture » toi-même les SIC, tout professeur que tu es, auprès de ces gens en appétit de sciences à qui tu veux refuser ces fêtes, aussi imparfaites et instrumentalisées qu’elles soient, mais qui restent une occasion rare de rencontre non intimidante avec les Sciences ? (je ne nie pas pour autant que les festivals de science ont aussi un public d « habitués », culturellement privilégiés)
Tu demandes de faire du hack ? Et toi ? (Je reviendrai sur ce mot)
Car – dois-je te le rappeler ? – il n’y a pas que le Ministère, la presse et les services de com’ des établissements savants qui sont impliqués dans ces événements. Il y a aussi des CCSTI, des clubs de sciences, des associations, des particuliers qui profitent de ce calendrier pour s’offrir une visibilité. Coparticipants qui ne souhaitent pas plus une défaite de la science, mais ne se gênent pas pour certains de « faire sa fête à la Science », au sens de lui tailler un costard pas toujours flatteur.
Qui aime bien charrie bien… et ceux qui le font encore le mieux sont justement les doctorants et chercheurs qui sont aussi impliqués dans ces événements et peuvent partager leurs difficultés (j’ai pu l’observer très concrètement à l’Observatoire de Paris).
Ce serait trop facile de dire que tes engagements étant connus, l’institution universitaire ne te donnerait pas une place dans ces « fêtes ».
Encore plus facile de ne pas vouloir t’y impliquer parce que les motivations publicitaires initiales seraient indignes.
Détournant la terminologie que tu emploies, tu demandes de « hacker » alors qu’au final, toi, tu « trolles ». Donc j’espère que tu me pardonneras ceci : j’inviterais volontiers monsieur le professeur de Sciences & Médias à se salir les mains et à apporter lui-même à cette fête, en présentiel, ce qu’il lui reproche.
Sinon ta posture n’est qu’une imposture, un opportunisme supplémentaire pour afficher ta colère.
Je comprends cette colère.
Quoique ni universitaire, ni chercheur, je peux la partager.
Mais je n’en excuse aucunement le mépris de classe que tu réalises implicitement, concidérant que le récréatif festif reste exclusivement une proposition publiciaire top/down, non sujette déjà à réappropriation par des acteurs et des « cibles » qui n’ont rien d’éponges, récréatif festif qui serait évidemment incompatible à l’acculturation, notamment politique, vieux reste de l’opposition culture populaire/culture cultivée, dont tu restes apparemment prisonnier comme Roqueplo.
Mépris – supposé cette fois – du professeur envers des collègues, souvent plus jeunes, peut-être plus naïfs, mais aussi plus modestes dans leurs ambitions, plus généreux avec les publics qu’ils rencontrent, et qui se réapproprient souvent à leur manière cet événement.
Je lis régulièrement tes écrits. Beaucoup ont contribué à mon édification, ce dont je ne saurai te remercier comme il faut. Je suis admiratif de tes prises de position et engagements. Du haut de mon incompétence, je suis moi-même très circonspect face à l’image des sciences que peuvent donner les festivals de science. Mais je ne supporte pas – pour le cas précis de ce billet – ton militantisme d’appartement. En 10 ans d’animation scientifique, notamment à travers les fêtes de la science, j’ai certainement plus contribué à la construction d’un regard politique sur les sciences auprès de publics non initiés que ne le font tes tribunes web.
Alors quitte ta tour d’ivoire et pars concrètement pratiquer en tant qu’acteur les vertus subversives de la fête : le clown est souvent plus efficace que l’enragé, en n’étant pas moins insoumis.
Bonjour Guillaume,
je te trouve très gonflé de prendre ce ton accusateur à mon égard, qui ressemble à un procès d’intentions, car tu ne sais en effet rien du tout de mes engagements : je n’ai pas besoin de venir collaborer à des festivités qui trompent le public sur les sciences, et j’ai d’autres espaces que ceux de la com’ et du journalisme pour faire exister une autre éthique du rapport entre sciences et société. J’ai notamment mes cours, qui sont certainement moins mensongers sur les sciences que la déplorable image en qui en est donnée lors des « fêtes » de la science, mais il y a aussi eu les nombreuses manifestations et actions de rue pour défendre la recherche et l’enseignement supérieur, avec des précaires et des collègues, où je ne t’ai pas vu nous soutenir. Il y a ce blog, il y a Indiscipline.fr, il y a science-societe.fr, il y a des revues grand public où je m’exprime, il y a les réseaux sociaux, etc.
Si je critique aussi vivement la fête de la science 2020, c’est parce qu’en suivant le programme de ses événements, je n’ai RIEN trouvé qui permette au public de se faire une idée réaliste de l’état contemporain de la recherche française à un moment où elle subit les destructions les plus violentes de toute son existence. Je trouve ce désintérêt pour la science de la part des communicants et des journalistes absolument scandaleux, et je trouve de plus écoeurant que vous, les communicants et journalistes, vous vous payiez sur la bête en quelque sorte, avec votre petit bizness (car c’est aussi un bizness), sans jamais rien donner en retour, au moment où la précarité est à son comble dans nos métiers, au moment où de jeunes scientifiques touchent les tréfonds du désespoir et de la pauvreté, au moment où les titulaires sont dégoutés, abandonnent parfois, et au moment où la répression à la fois policière, bureaucratique et économique s’abat sur nos métiers. Devant votre indifférence à tout cela, je n’aurai jamais de mots assez durs : la fête de la science, c’est la fête du mensonge organisée par des tricheurs cyniques ou stupides – médiocres en tous les cas – et dont l’action détruit le peu d’espoir qui subsiste dans nos métiers.
Pour tenir les propos que tu tiens, il faut vivre sur une autre planète et ne rien connaitre des sciences telles qu’elles se font, ni du travail des scientifiques, ni de leurs aspirations, ni de leurs organisations, ni de leurs luttes.
Il n’y a de mépris de classe que de ton côté : tu ne sais rien de mon origine sociale et ce propos est vraiment grotesque et cliché (me faire le coup de la tour d’ivoire, franchement !).
Je refuserai toujours de participer à cette mascarade indécente qu’est la fête de la science, même si on me le demandait à plat ventre, et j’assume tous mes propos : il est indécent, obscène, et collaborationniste d’y participer à un moment où tous les collègues, ainsi que les précaires, sont en lutte contre un pouvoir cynique, violent et corrompu qui offre l’enseignement supérieur et la science au marché de l’innovation en nous dépossédant de manière autoritaire de tout débat.
Tu as choisi ton camp, camarade, le mien est en face.
Cordialement
PS : pour info, je n’ai plus aucune relation avec l’équipe Sciences & médias. Mon labo est depuis 2 ans le Ladyss, et j’y suis très bien.
Bonjour Igor
Mille mercis à toi de reconnaître mon courage (ou ma stupidité téméraire) car j’écris, c’est vrai, si peu… je proteste, il est vrai, si peu… tu m’as vu, il est vrai, si peu… (et quelle vue ubiquitaire !). Mais qu’est-ce qui a bien pu faire sortir de pareille inertie une personne aussi peu… enRagée? Peut-être parce qu’elle sait, elle au moins, qu’il y a mille et une manières de… s’enGager ?
Arrête donc de faire semblant : tu sais mieux que bon nombre combien mon ton accusateur ne « ressemble » pas à un procès d’intention. C’EST un procès d’intention, que j’ai eu énormément de scrupules à faire publier par tes soins – j’honore sur ce point ta probité éditoriale et espère que tu la pousseras jusqu’à publier la suite -.
Pourquoi un procès d’intention ? Parce que tu ne fais pas plus que ça, un procès d’intention (d’où la tentative de modération opérée dans ton droit de réponse). Au prétexte d’expliquer une situation de crise, tu ne fais QUE ça.
C’est pourquoi j’ai ressenti le besoin (inutile peut-être, maladroit sans doute, illégitime certainement pas) de tenter, moins auprès de toi – je ne te convaincrai pas – qu’auprès de ton lectorat (que je salue mais dont je ne présume de rien), de me faire la voix de tous ces anonymes, acteurs et publics des festivals de sciences, qu’apparemment – je ne fais qu’avancer une hypothèse – tu mépriseras quoiqu’ils fassent. Ce pour quoi je t’ai sciemment provoqué, suivant scrupuleusement la technique que tu emploies.
Procès d’intention donc de ta part, jetant l’opprobre indistinctement sur toute un disparate d’individus hétéroclites – dont moi – agissant dans des cadres divers pour des motivations diverses dont tu ne sais pareillement rien (pardonne-moi, mais c’est si facile de te faire sortir les mots que tu devrais appliquer à tes propres jugements) à travers des formes récréatives qui ne seraient que diversion. J’insiste cher lecteur une nouvelle fois sur l’indignité subodorée du récréatif consommé par des publics incapables a priori d’envisager quelque « tromperie » s’il en eut, vieux reste de cette « culture cultivée » où seul l’âpre, le sérieux et l’austère sont pertinents, rappelant ainsi Igor non pas d’où tu viens – je n’en sais effectivement rien et serai ravi que tu appliques cette modération à tes propres injonctions – mais bel et bien d’où tu parles aujourd’hui… d’en haut ! (Serait-ce là de l’anti-intellectualisme de ma part ?)
Le tout en prêtant cette intention répétée de « collaborationnisme ». On n’est pas loin du supposé point Godwin que tu n’hésites pas à franchir dans l’intimité semi-publique de Facebook ou d’autres espaces, électroniques ou présentiels…
Ce qui m’amène à ton procès d’intention à mon égard cette fois, avec ce très sympathique et très éclairant VOUS, que j’attendais, que j’espérais même, lors que mes critiques concernaient TES propos et (in)actions. VOUS non de politesse mais bien mise en collectif qui illustrera mieux que je n’aurai pu le faire moi-même le fond de ton problème. A savoir au mieux l’incongruité, le ridicule, au pire la fumisterie à te voir demander aux « communicants » de « hacker » l’événement… alors que tu les honnis fondamentalement, viscéralement. Je connais peu de personnes violentées qui rendraient service de bon gré à l’individu qui a porté sur elles la main ou les mots blessants. Si ce n’est peut-être après un long moment.
Ainsi, à travers ce VOUS inclusif, « je me paierai sur la bête (la science ?) avec mon petit buziness ». Et je serai « indifférent ».
Certes, je suis « communicant ». Je ne suis pourtant ni journaliste scientifique, ni RP d’une institution de recherche, ni enseignant-chercheur. Je ne suis au mieux qu’un oustider, un pauvre vendu de monteur-réalisateur de films institutionnels low-costs (et pour le CNRS, l’INSERM et la Chancellerie, je n’ai fait que de jolis jingles graphiques, ce qui les rend hautement dangereux idéologiquement).
Et c’est vrai, j’ai une petite activité de médiation scientifique.
Or, les 2/3 du temps, je suis sur ce point… bénévole ! L’argent du tiers restant partant intégralement dans du matériel de médiation et des dons aux assoc’ d’Educ’Pop. Je suis, je crois, loin de ME « payer sur la bête », tout au moins financièrement. Ce qui tenterait à invalider de facto ta propension à mettre tous les communicants dans le même sac – à l’exception du vénérable Sylvestre Huet –.
Tout comme certains mettent dans le même sac – à l’exception de celui qui a grâce à leurs yeux (un familier, un collègue, un voisin…) – tous les étrangers.
Ou toutes les femmes.
Ou tous les pauvres.
Ou tous les bourgeois capitalistes.
Ou tous les flics.
Ou tous les membres de Sciences & Médias….
C’est en cela qu’en dépit de la justesse de ta cause (je te la laisse puisque tu ne souhaites pas que je me l’approprie à ma façon), j’affirme publiquement sans peur (alors que j’en ai souvent) que tu ne vaux pas mieux que celles et ceux que tu prétends décrier. Pas de honte à avoir : chacun a sa part variable de compromission. Néanmoins le problème, surtout lorsqu’on se présente comme un militant éclairé de savoirs communicationnels, c’est bien que tu ne t’en rendes pas compte pour toi-même, ou n’ai pas l’humilité d’en convenir pour la circonvenir … bien que les uns ou les autres tentent de te le dire (enfin, ce n’est qu’une supposition mais je pense que des personnes n’ont pas dû manquer de le tenter).
Tu as donc tout à fait raison : mépris de classe n’est finalement pas le mot juste. Juste mépris des « autres ».
« VOUS autres ».
Forme rhétorique bien connue des sciences politiques et des SIC. Et pour le cas particulier qui nous occupe, allez ! dis le mot ! la sale race des gens de mon engeance 😉 J’aime à croire que ta misanthropie s’arrête là. Sinon ce serait embarrassant pour quelqu’un qui prétend agir utilement dans le champ social.
Je prends d’ailleurs acte, avec respect et sans le moindre doute, que tu agis dans « d’autres espaces que ceux de la com’ « . Prends donc acte, avec bienveillance et humilité, que d’autres tentent de faire exister cette éthique que tu réclames PAR la com’, y compris lors de ces festivités en des temps troublés.
Gagné-je autre chose que de l’argent à mettre en culture les sciences ? Je confesse que oui. Un scandaleux ravissement chaque fois qu’on me remercie de ne pas prendre mes auditeurs, d’où qu’ils viennent, pour des stupides et paresseux, et de tenter de leur proposer ce que je peux, d’où je le peux, comme je le peux. Je dois être un pervers… Comme beaucoup d’autres anonymes : chercheuses et chercheurs, doctorants, membres d’associations…
« Pour tenir les propos que [je] tiens », je dois probablement venir effectivement d’une « autre planète » : après tout, je ne suis pas comme toi universitaire professionnel, je ne suis pas chercheur. Je n’ai tenté l’aventure des DU à l’Observatoire de Paris, du Master Recherche à l’ENS et de la thèse à Dijon (abandonnée, tu t’en rappelles mes mots ?) que pour pouvoir mieux percevoir et mieux partager de ce que je prétendais « mettre en culture ». Je ne crois donc pas qu’on puisse me qualifier d’ « indifférent », même si je suis effectivement, comme tout un chacun – certains l’étant plus que d’autres à te lire – « différent ».
Ah, ce « VOUS autres »….
Ces expériences – y compris celle-ci – m’ont amené à réfléchir tant dans mes représentations que dans mes pratiques. Réflexivité, mot qu’adore Joëlle Le Marec, ta complice de toujours, plus pertinente parce que moins caricaturale dans sa colère. C’est pourquoi, animé d’une reconnaissance électronique sincère – sinon je n’y aurai pas mis tant de manière –, du haut à nouveau de mon incompétence, je t’invite humblement à exercer cette réflexivité sur ta pratique scripturaire, pour peut qu’elle se veut vraiment convaincante auprès des personnes que tu prétends vouloir transformer. Tu sembles en avoir bien besoin… mais ce n’est que le conseil d’un vil « communicant ».
Je ne saurai trop répéter combien ta vision généralisante, opportuniste, binaire (NOUS les bons profs/chercheurs martyrisés au service désintéressé des Sciences, VOUS les infâmes communicants à la solde des Puissances de l’Argent) est non seulement contre-productive, mais peut-être aussi indigne d’une personne s’affichant comme savante en communication, et qui espère paradoxalement gagner une dignité pour lui et ses collègues.
Mais après tout, les scientifiques restent humains. Et, me risquant là encore à un dernier argument ad hominem, parmi les personnes dont l’action détruit le peu d’espoir que l’on peut placer dans les métiers de l’enseignement et de la recherche, on peut incontestablement te compter.
Ton exemple est édifiant. Ton VOUS seul suffit à ma sidération. J’espère qu’elle le sera pour le lecteur : j’ai peur que tu ne sois – je m’en excuse – guère plus qu’un « donneur de leçons ».
Ce qui m’interroge en conclusion, t’ayant lu et relu, sur la réelle sincérité de ta cordialité que je te renvoie « cordialement »… « camarade »
(j’avoue avoir parié qu’avec la bonne combinaison de mots, tu emploierais ce terme. Je ne suis après tout qu’un infâme manipulateur… coco ? :p).
Hé bé… que de mots ! Avec peu d’arguments solides, et aucune réponse sérieuse à mes propos. Tout se passe comme si tu n’avais même pas lu mon billet…
J’ai pourtant pointé au moins 3 médias que j’estime et qui font un bon travail, mais tu préfères parler d’essentialisation… Trop gros : passera pas. Comme tu le sais, ça fait quand même 25 ans que j’observe la vulgarisation scientifique, et je pense donc en avoir une image pas trop délirante : mes publications en attestent.
J’évoque dans mon billet d’humeur les thèmes ridicules exposés par la fête de la science cette année (l’ours en peluche et Star Wars, entre autres, en pleine période où la précarité empêche des tas de doctorant.e.s et d’étudiant.e.s de vivre ne serait-ce que décemment, quand ils ne sont pas agressés physiquement par la police : on se fout quand même bien de la gueule du public, en détournant l’attention de ce qui serait important à montrer !). Mais là encore, tu ne réponds pas sur les arguments, tu zappes, tu brodes, tu détournes l’attention par des procès d’intention à la limite de l’insulte, et tu fais comme si tout allait bien dans ce bizness de masquage qu’est la médiation scientifique dans le cadre de la fête de la science.
En tout cas si c’est ça la vulgarisation scientifique qui te branche, alors je te le redis cash : c’est de l’idéologie, du mensonge ! Et j’assume en effet mon mépris pour ces pratiques d’un autre âge qui induisent le public en erreur. Simple question de responsabilité sociale et d’éthique. Encore une fois : chacun son camp, j’ai choisi le mien, il est celui de la lutte contre ce type de médiation que j’estime nuisible socialement, politiquement, et au plan environnemental.
D’ailleurs, je ne dis rien de très original à ce sujet, et si j’ai cité Roqueplo, Jurdant et Le Marec, c’est parce que je suis loin d’être seul à avoir cette vision de la vulgarisation scientifique comme idéologie mise au service du consumérisme, du capitalisme, de l’innovation technologique, et de la domination de la bureaucratie scientifique sur les savoirs à portée critique. Relis ces classiques et ne fais pas comme si mes propos étaient des bouffées délirantes idiosyncrasiques liées à je ne sais quoi de personnel.
En tout cas, on est en 2020, et on sait maintenant à quel point la naïveté des visions du progrès portées par la vulgarisation scientifique nous conduit à la catastrophe environnementale, politique et sociale.
Tu as envie de participer à ce monde-là ? De faire de la com’ a-critique ? Grand bien te fasses ! Mais tu trouveras maintenant sur ta route des opposants résolus et aguerris et qui ne se laissent pas intimider par la longueur d’un texte, ni par les rhétoriques usées des communicants : il y a toute une jeunesse repolitisée, un public éduqué, qui ne se laisse plus berner par les fadaises de la médiation du capitalisme scientifique ni par les mensonges du progrès. On la trouve chez les activistes écologistes, dans la rue, etc. Pas dans la médiation scientifique à la papa que tu sembles défendre, comme si le monde n’avait pas changé, comme s’il n’était pas au bord de l’effondrement, comme si les dictatures ne pointaient pas à nouveau leur nez, comme si les espèces animales ne disparaissaient pas à vitesse Grand V, etc. Comme s’il fallait sempiternellement s’enthousiasmer pour des découvertes qui ne bénéficieront qu’à une minorité de nantis du système de destruction de la démocratie et de la planète à laquelle ce type de science et de communication contribue.
Cette vulgarisation scientifique que tu défends, c’est l’orchestre qui continue à jouer sur le pont, indifférent à ce qui se passe, pendant que le Titanic sombre.
Cet après-midi, j’ai assisté en visio à un séminaire d’économie politique à Paris 1, qui était consacré à l’économie des universités et de la recherche. Dans le contexte des réformes de destruction du CNRS et de l’université, pendant la (dé)fête de la science, au moment où les précaires se précarisent et où on évacue les étudiants pauvres du système pour privilégier les enfants des riches, il y a des chiffres qu’il est bon de connaître et de diffuser. L’économiste Thomas Lamarche nous a montré qu’on assistait finalement à une sorte de re-féodalisation du pays au profit d’un « club » de privilégiés. Voilà les chiffres clés, qu’il conviendrait de vulgariser pour parler de science, au lieu de nous bassiner avec le Boson de Higgs et autres thèmes habituels de la médiation scientifique, car cette dernière n’aura probablement bientôt plus rien à « médiatiser » si elle n’ouvre pas les yeux et ne rejoint pas les luttes universitaires… Quant aux parents d’étudiants empêchés d’accéder au supérieur après leur BAC, qu’ils s’intéressent également aux politiques publiques libérales du supérieur s’ils veulent comprendre ce qui arrive à leur progéniture, et qui ne relève ni du hasard, ni de problèmes techniques, mais bien d’une politique consistant à ne plus favoriser que les membres du club des privilégiés.
Dans tout ton discours, tu ne m’as toujours pas dit ce que tu faisais pour soutenir les luttes universitaires. Mais la longueur de ton texte m’a épuisé et si tu ne vois que généralisation dans mes propos, je n’ai aucune raison d’épiloguer.
Cordialement malgré tout
Je réagis en vitesse, je n’ai pas lu tous les posts, je ne vais pas réagir au détail de tout ce qui est exprimé et que je n’ai pas lu, mais à la toute première réaction.Je crois qu’il faut vraiment réaliser l’ampleur de la tristesse et de la colère à l’égard de la destruction de l’université, et l’impression que la mobilisation n’est pas soutenue, que personne ne réalise. On a même fait une lettre aux parents, on a investi les journées portes ouvertes. Donc quand on voit les annonces pour la fête de la science sur le site de la fête de la science, ça fait mal. C’est tout. Il n’y a pas de mépris de classe là-dedans. Il y a la colère certainement qui rend le ton plus dur et ça peut heurter mais : la loi est passée devant l’Assemblée et très bientôt ça sera plié si tous ceux qui sont concernés ne réagissent pas et continuent de considérer, comme le gouvernement et les députés, que ce n’est pas si grave.
Bonjour Joëlle.
Je vous prie très sincèrement de me pardonner pour avoir mobilisé votre nom mais suis – je ne le cache pas – ravi de vous lire. Je réalise cette tristesse, cette colère, cette incompréhension ressentie. Je ne pense pas me tromper en envisageant que le mot le plus juste combinant ces sentiments est… « désespoir » ?
En tant qu’individu extérieur à l’exercice professionnel de l’enseignement supérieur et de la recherche, ayant pu petitement l’approcher, je suis certainement très loin de concevoir combien votre sentiment d’impuissance peut faire mal. Le vôtre, celui de la communauté ou celui d’Igor. Mais cela doit-il excuser une tribune entrant en contradiction interne flagrante avec l’idéal qu’elle entend défendre ? Mon propos, je crois, n’a jamais été de remettre en question le bienfondé de cette lutte pour la sauvegarde de l’enseignement supérieur et de la recherche. J’ai tenté de rappeler que tout paysage ne se réduit pas à une carte (ou pour le cas, aux annonces et programme de ces fêtes), ni tout l’espace au seul lieu que l’on empreinte, ni tous les individus aux présupposés portés à leur groupe d’appartenance choisi
Mais je pense avoir surtout voulu mettre en évidence le profond décalage entre le désir d’Igor de susciter une mobilisation protéiforme (à quoi peut renvoyer l’usage du mot « hack ») auprès d’un certain groupe d’acteurs sociaux (les communicants) et l’hostilité de principe qu’il affiche dès le début à leur égard, surtout quand ils n’agissent pas dans la forme qui lui convient (il faudrait en plus, à le lire pardonnez-moi, lui rendre des comptes). Contradiction flagrante d’une demande d’éthique communicationnelle par des moyens communicationnels dont on peut raisonnablement douter de l’éthique. Ce qui dessert la cause qu’il prétend servir.
Je ne vous demande pas de prendre parti, Joëlle, d’autant qu’au moment où j’écris cela, je m’aperçois que ma méthode n’était sans doute pas plus la bonne puisque, prenant sa posture pour tenter de la ridiculiser, je suis entré moi-même dans une imposture. Mais j’espère qu’une lectrice, un lecteur, un « autre » que moi, plus légitime aux yeux d’Igor, invitera simplement ce dernier à réfléchir sur sa propension apparente à pointer du doigt avec ses aprioris l’inaction supposée des autres sans questionner d’abord ses actions communicationnelles, largement accessible en raison d’une intertextualité débordante. A trop voir la paille dans l’œil du voisin…
Bonne continuation à vous.
oups, j’aurai dû écrire « la forme unique qui lui convient » (la contestation… caricaturale?). Il est diverses manières comme je le disais d’agir et s’engager.
Sans épiloguer plus, j’assume en effet totalement mon hostilité à l’égard des communicants et journalistes qui participent à la fête de la science en 2020. Ces gens-là contribuent à faire de la publicité pour un monde qui est en train de détruire celui auquel je crois, et leurs actions sont en opposition frontale avec l’esprit d’émancipation qui m’anime. Disons que mon invitation au hacking était sans doute rhétorique : mon expérience de la formation de communicants et de journalistes depuis une vingtaine d’années, m’a convaincu que ce n’est pas dans ces secteurs professionnels qu’on peut trouver des soutiens à l’émancipation et à l’esprit critique, sauf à la marge (et j’ai pris soin de signaler ces marges, car elles existent, y compris chez les journalistes scientifiques). La conflictualité fait partie de la vie, la lutte aussi. Ne pas l’accepter est problématique dans un moment où nous sommes en guerre : pas seulement contre un virus, mais contre un gouvernement et ses représentants qui sont aussi bien les présidences d’universités, que la police, ou les journalistes participant à une opération de propagande pour une politique des sciences qui détruit les biens communs que sont la recherche et l’enseignement supérieur.
Quant à moi, pour épiloguer – au sens de conclure définitivement – puisque tu as interrogé ma manière de m’engager (les écrits restant, je n’aimerais pas que l’on doute à l’avenir de ma propre probité), je me contenterai d’un petit exemple récréatif parmi d’autres, qui dure depuis 10 ans.
« Mesdames, messieurs, Lecture d’Elements d’Astronomie, de M. Jacques Cassini, 1740.
Personne n’ignore que de tous les édifices qui ont été construits jusqu’à présent pour travailler aux observations astronomiques, aucune n’égale la magnificence de l’Observatoire de Paris. Sa fondation a la même origine que celle que tout ce qui fut entrepris en ce siècle, sous un Ministère éclairé où l’on savait que le progrès était un des moyens les plus assurés pour procurer le bien de l’État.
Mesdames, messieurs, j’ai bien peur que ce propos ne soit guère partagé par les scientifiques d’aujourd’hui vis-à-vis de leur Ministère… » (le public rit parce que j’ai installé avant une mécanique lecture/vanne).
La lecture de ce petit texte du deuxième patron de l’Observatoire de Paris et la discussion qui suit, j’ai régulièrement plaisir malin à les faire… devant les magnifiques murs de l’Observatoire de Paris !
Cela n’est sans doute pas aussi spectaculaire qu’une irruption fulminante, mais cela fait partie de ces 1001 petits « hacks » auquel on ne pense pas mais que permet une mise en culture politique des sciences à la manière souhaitée par Jean-Marc Lévy-Leblond (pour lequel j’aurai une reconnaissance éternelle). Ce auprès de personnes qui étaient venues pour autre choses (une découverte astronomique ou patrimoniale que l’on se doit bien évidemment d’offrir) et sont pour beaucoup très éloignées de tes considérations. Mais pour que cela fut possible, sans présager que cela marche, il faut qu’il y ait générosité, confiance avec TOUS les interlocuteurs (Sabrina, si tu me lis, tu te reconnaîtra). C’est peut-être ça aussi la « médiation ». Entre des sujets de sciences et des personnes, mais aussi entre personnes.