Couvre-feu : re-féodaliser le pays

Couvre-feu : re-féodaliser le pays

15 octobre 2020 0 Par Igor Babou

L’instauration d’un couvre-feu au nom de la supposée méconduite des français (des jeunes qui font la fête, des sorties au restaurant, etc.), s’appuie sur un mensonge, du moins si l’on en croit les chiffres diffusés par Santé Publique France, qui est l’agence nationale de santé publique, et qui est donc un organisme d’État : c’est en effet dans les entreprises et le secteur scolaire qu’il semble y avoir le plus de clusters, bien loin devant le milieu familial (voir ici : https://www.santepubliquefrance.fr/…/covid-19-point…).

Alors bien sur, on sait que les statistiques ne disent pas tout de la complexité des phénomènes, et que selon la formule consacrée « c’est plus compliqué que ça ». Je suis chercheur, et je donne même des cours sur ces questions de méthode. Mais en l’état actuel du manque de connaissance sur le Covid, ces statistiques nous disent quand même des choses intéressantes : notamment qu’on a plus de probabilité de contamination au travail et dans les espaces scolaires et universitaires qu’en famille.

A l’université, cela fait des mois qu’on constate que rien n’a été fait pour changer les choses : huit mois d’inaction. Aucune embauche de personnel (si pas d’embauche, alors pas moyen de réduire la taille des groupes), aucune mise aux normes des ventilations, aucun agrandissement des locaux. Ce qui a conduit à un entassement des étudiants et des personnels dans des locaux qui étaient de toute manière vétustes avant le Covid, et déjà non adaptés à la croissance de la population étudiante. Ce texte, rédigé par des scientifiques du Groupe Jean-Pierre Vernant, décrit clairement les mesures qu’il aurait fallu prendre pour assurer une ventilation correcte des locaux d’enseignement : http://www.groupejeanpierrevernant.info/#Ventilation. Dans sa bibliographie, on trouve une compilation d’études datant de mai 2020 qui montre que 90 % des contaminations se produiraient de façon aéroportée dans les lieux clos et mal ventilés. Enfin, cette tribune rédigée par Arnaud Mercier (président de la section CNU de ma discipline), indique que les cadres réglementaires édictés par nos tutelles ont pour fonction principale de dégager les responsables de leurs responsabilité juridique, et non de traiter correctement le problème de la pandémie en milieu universitaire : https://www.lepoint.fr/…/universite-et-covid-19-une…

Le régime Macron sait parfaitement que les mesures qu’il impose à la population sont scientifiquement infondées, qu’un couvre-feu de 21h à 6h du matin est une absurdité, d’autant plus quand cette mesure n’est pas accompagnée des mesures budgétaires et des créations de postes qui permettraient à l’hôpital public et à l’ensemble des services d’enseignement du pays de remplir correctement leurs missions tout en protégeant la santé des usagers, et que les justifications qu’il avance pour les imposer, à savoir l’irresponsabilité de la population et des jeunes en particulier, sont mensongères. Et ce régime sait qu’on le sait. Quelle est donc la stratégie derrière tout cela ? Peut-être sommes-nous l’objet d’une ces expériences de Milgram dont l’évocation a bercé notre adolescence : expériences scientifiques dystopiques, toujours situées dans de lointains laboratoires de psychologie sociale, et qui étaient supposées nous fournir d’édifiantes leçons de morale quant à l’obéissance et à la servitude volontaire… Sauf qu’en ce moment, nous ne sommes pas dans un laboratoire lointain, mais dans la vie de tout un pays soumis à un régime totalitaire, violent, et dont on perçoit clairement le cynisme et l’incompétence.

Plus vraisemblablement, nous sommes face à un régime illégitime, et qui se sait illégitime : ce régime, dont le président a été le plus mal élu de toute la 5ème république, n’a donc plus que la violence comme moyen de se maintenir au pouvoir afin de terminer la re-féodalisation du pays. Cette re-féodalisation économique et politique qu’il a promise au patronat, aux actionnaires des entreprises du CAC 40 et aux médias de préfecture qui l’ont fait élire alors qu’il n’était qu’un petit bureaucrate aux diplômes insignifiants et au parcours tout sauf exemplaire.

Là où j’habite (en banlieue parisienne Est, là où aucun ministre, ni aucun intellectuel germanopratin, ni aucun éditorialiste ne vit), il y a des gens qui partent au travail avant 6h et qui en reviennent après 20h. Mais je suppose que le petit bureaucrate insignifiant qui prétend nous diriger – et les sinistres raclures en marche qui lui tiennent lieu de députés – ne les considèrent pas comme des êtres humains, en raison de la couleur de leur peau ou de leur origine sociale.

Sur le trajet de la ligne 5 qui me ramène du centre-ville bourgeois vers les marges de la société française, les fameux « territoires » où le désastre de la colonisation ne cesse de se poursuivre, je croise de nombreux SDF. Le long du canal, il sont des dizaines, à errer. La banlieue est devenu leur mouroir. Durant le confinement, les associations ont fait ce qu’elles ont pu pour les sauver de l’indifférence administrative, de la barbarie policière et de l’invisibilisation médiatique. Mais avec le couvre-feu et l’hiver, l’expérience de Milgram programmée par La Raclure en Marche fera nécessairement des morts.

Le régime féodal et ses séides médiatiques se moquent des serfs improductifs qui survivent dans les marges de l’Empire. Car ce régime a basculé du côté obscur de la déshumanisation.

Dans son château, derrière les hauts murs de son bunker, le seigneur féodal, sanglé dans ses certitudes, tance les manants par l’intermédiaire de sa télévision, et de ses journalistes de préfecture.

Nous savons qu’il ne partira pas par la vertu de l’argumentation raisonnée.