Marianne : le « Je suis partout » de la gauche française

Marianne : le « Je suis partout » de la gauche française

23 septembre 2019 2 Par Igor Babou

J’ai eu une féroce envie de vomir cette semaine quand, sortant de la station de métro proche de mon domicile à Bobigny, j’ai aperçu la couverture du dernier Marianne affichée en grand format sur les kiosques à journaux locaux. Marianne, ce torchon de la gauche façon « printemps républicain« , qui accompagne Charlie Hebdo dans l’ignominie raciste… Ces couvertures stigmatisant noirs et maghrébins se répètent, identiques à elles mêmes, depuis des années : elles constituent une insulte à toute pensée humaniste. Mais peu m’importe la pensée humaniste en fait. J’y vois avant tout une insulte à une population déjà largement marginalisée, et qui lutte pour exister dans un environnement hostile : la banlieue, ces marges où sévissent la précarité, la violence policière, et où le déclassement social accompagne la bétonisation de l’environnement et la pollution. Rocades, tours, dalles de béton, dépotoirs, terrains vagues… Ici culmine l’intersectionnalité des injustices sociales, raciales et environnementales. Et c’est d’une prétendue « gauche » que viennent ces saloperies dignes du « Je suis partout » antisémite des années 1930. Évidemment, cette prétendue gauche qui lit ou écrit les torchons que sont devenus Marianne et Charlie ne voit que danger et menace dans une population dont elle réduit la diversité et les aspirations à des stéréotypes : voiles, burqas, burkinis. Elle la considère comme la droite et l’extrême droite ont toujours considéré les colonies, ou comme Je suis partout considérait les juifs : de manière essentialisée, grossière, surplombante, insultante. Cette gauche raciste et réactionnaire n’hésite plus à se vautrer dans la rhétorique guerrière du choc des civilisations : la république aurait « capitulé » devant… heu… des femmes voilées… Diantre ! Quel danger terriblement menaçant ! Des jeunes femmes en burkini prenant des bains de mer ! De quoi faire s’effondrer des siècles de notre glorieuse « civilisation » !

En banlieue, dans le 9.3, il y a pourtant avant tout des humains capables de penser, de s’émouvoir, d’agir politiquement et de créer. Encore faudrait-il accepter d’aller y voir et d’enquêter sérieusement au lieu de fonctionner sur la base du prêt à penser médiatique, des préjugés de classe, de genre et de race, ou de celui de l’universalisme de pacotille de cette fausse gauche blanche qui n’a jamais réussi à décoloniser sa pensée.

En tant que mec blanc athée de la classe moyenne-haute je suis assez mal placé pour percevoir ce que ça fait, pour une femme musulmane pratiquante issue de l’immigration, de se voir désignée comme un problème aussi souvent par des affiches, en grand format et en quadrichromie, dans son propre lieu de vie, le tout sans jamais avoir de possibilité de répondre. Des affiches qui constituent autant de provocations dans un espace public largement détenu et cadré par la classe médiatique dominante des mâles blancs, celle qui accède à des moyens d’expression couteux et à diffusion massive. J’essaie pourtant de me mettre à la place de tous ces gens que je croise dans le bus, ou dans la rue : femmes voilées ou non, jeunes ou moins jeunes, pratiquant.e.s ou pas, peu m’importe. Je les vois, je parle parfois avec certain.e.s, je les connais mal (en dehors de quelques entretiens réalisés dans le cadre de mes enquêtes de terrain), mais j’habite le même quartier. Et je ne vois vraiment pas où il y aurait un problème suffisamment important pour que cela légitime toutes ces dénonciations par « Unes » de presse. Honte à ces éditorialistes et à ces journalistes !

Retournons-leur l’insulte : ils ne valent pas mieux. En hommage à tous les passants racisés de Bobigny, du 9.3 ou de n’importe laquelle de ces banlieues pauvres de France où la « Rrrrépublique » a entassé ses ex-colonies au nom d’un universalisme mensonger, je dédie ces pastiches visuels de Marianne et de Charlie en Je suis partout.