Reconnaître le fascisme
20 avril 2018J’en ai un peu assez des ratiocinations sémantiques de commentateurs (sur les réseaux sociaux ou ailleurs) qui, visiblement bien à l’abri de toute difficulté et de toute répression grâce à la couleur de leur peau ou par leur statut social ou économique, donnent sans cesse des leçons de prudence quant à l’usage du lexique descriptif des événements en cours (université, zad, manifestations, etc.), sur la seule base – la plupart du temps – de la désinformation médiatique. Selon ces commentateurs, on devrait éviter d’utiliser toute analogie avec les régimes autoritaires sous prétexte qu’on peut toujours trouver pire ailleurs que dans la douce France; il conviendrait de ne pas faire référence à la notion de racisme structurel, ni surtout de fascisme. Tout cela pour préserver un ensemble de nuances sibyllines, ou encore pour garder une définition puriste du totalitarisme ou du fascisme, situations historiques qui seraient toujours à situer dans le passé (ah ! La rhétorique des « heures sombres » !), ou dans des pays exotiques. Mais qui élabore ces définitions ? Dans quel contexte historique ? Avec quels arrières plans idéologiques ? Ces pudeurs sémantiques et ces leçons de morale politique sont parfaitement déloyales pour les gens qui, en raison de leur couleur de peau, de leur origine sociale ou de leurs engagements politiques, subissent régulièrement la violence répressive. Cette fausse gauche aux pudeurs suspectes, surplombante à souhait, est l’émanation de la vieille bourgeoisie qui a toujours été du côté du manche, tout en se donnant des airs de révoltes pour faire chic : car c’est toujours bien de s’afficher « critique » dans les milieux intellectuels, artistiques, ou universitaires. Certes, personne n’est obligé d’adhérer à des logiques radicales, ni de soutenir la guérilla urbaine ou je ne sais quel fantasme d’une ultra-gauche qui aurait colonisé l’université ou le bocage normand. Ce n’est d’ailleurs même pas mon cas : je préfère lire de bons bouquins, que subir des gazages en manif, et je n’ai pas vraiment honte de ne pas savoir manier des cocktails molotov. Chacun sa place, chacun sa forme privilégiée de combat. Mais qu’au moins cette fausse gauche arrête avec ses leçons de prudence sémantique qui masquent mal sa couardise et sa volonté de garder intactes ses positions privilégiées ! On parle ici d’étudiants tabassés depuis des années (depuis Nuit debout), de gazages systématiques en manifestations, de gens de couleurs et d’un militant écologiste tués par la police (Adama Traoré et Rémi Fraisse, pour ne citer que les plus « célèbres » victimes, mais il y en a bien d’autres), de violences quotidiennes organisées par cette même police dans les banlieues, de censures médiatiques, d’irrespect régulier du droit dénoncé par les tribunaux par certains préfets (celui de Nice, en particulier, face à la Roya), de criminalisation de la solidarité, de violences verbales sexistes et racistes lors de pénétrations systématiques de la police dans les universités, de mensonges de ministres d’Etat (notamment ceux de Collomb à propos des migrants), etc. On parle aussi d’un parlement aux ordres, où plus aucun débat n’a lieu si ce n’est ceux impulsés par les députés de la France insoumise. On parle également d’un pays, le notre, où l’on envoie l’armée bombarder un pays sans même que cela soit discuté par les parlementaires, sur la seule décision d’un autocrate. Non, nous ne sommes plus en démocratie, et il est temps d’arrêter de suivre les conseils des piètres penseurs de la gauche de préfecture et des éditocrates des médias du Cac 40. Et pour aller plus loin, relire Umberto Eco, qui n’avait aucune de ces pudeurs sémantiques suspectes dont tant d’intellectuels ou de commentateurs donnent en ce moment le spectacle affligeant :