Et si les rentrées dans les campus étaient autre chose qu’un rite d’intégration dans un grand moule de repli sur soi ? Et si plutôt que de transmettre les codes de l’élitisme, du patriarcat, du solutionnisme technologique, du surplomb académique, du management prétendument rationnel des mondes, d’autres rentrées viendraient tisser des liens entre campus et mouvements socio-écologiques, transformant la production et le partage des savoirs à la fois de l’intérieur et de l’extérieur des établissements d’Enseignement Supérieur ? Après un printemps riche de luttes, retrouvons-nous !
Quelle culture voulons-nous nourrir ?
L’enseignement supérieur et la recherche vont mal, très mal. Les établissements sont de plus en plus pris dans des logiques managériales et concurrentielles, qui détruisent les milieux vivants et reproduisent les dominations sociales, raciales et patriarcales. S’en suivent la hiérarchisation des formes de savoirs, leur instrumentalisation à des fins économiques, la dépolitisation des espaces de formations, la création de ghettos universitaires spécialisés, hors-sol, l’enfermement des étudiant·es et des personnels dans des logiques individualistes, la séparation des têtes (savoirs), des mains (savoir-faire) et des sensibilités (coeurs).
L’écologisation des espaces de formations et des cursus ne sera pas suffisante pour transformer radicalement et structurellement ces institutions, gangrénées par plusieurs décennies de soumission aux logiques capitalistes, impérialistes et néo-libérales. Si la sensibilisation est une étape nécessaire, ce n’est pas en faisant vivre une Fresque du Climat à tous les étudiant·es et personnels des établissements que l’on dégagera TotalEnergies, Bouygues, Thalès, Google, la Société Générale et consorts des campus et des conseils d’administration des établissements. Cinq ans après l’Appel pour le réveil écologique largement soutenu par les communautés étudiantes, nous ne pouvons que faire le constat que les cursus d’enseignement français cèdent leur autonomie à l’agenda des grandes industries (pour certaines repeintes en vert) plutôt que de se tourner vers la préservation des conditions de subsistance de tous les êtres vivants.
Face à ces constats tristes et délétères, plutôt que de se demander « Comment mieux instruire ? », nous préférons nous mettre au travail autour de la question : « Quelle culture voulons-nous nourrir ? » [1]
Reprendre les savoirs !
Une dynamique de reprises de savoirs s’est amorcée en 2022, avec l’organisation à travers la France de 23 chantiers visant à contribuer à l’émergence de pluriversités de la Terre : des espaces d’enquêtes collectives, de production et de partage de savoirs, ancrés dans les milieux de vie, les résistances et les alternatives. Dans ces chantiers, se sont combinés têtes, mains et cœurs. Se sont mêlés travail manuel collectif, transmission et partage de savoirs pratiques, politiques ou théoriques, le tout dans un cadre de vie collective auto-gérée et dans une égale dignité des différents savoirs, avec une attention constante aux dominations de diplôme, de race, de genre et de classe.
La question de reprises de savoirs se pose depuis différents endroits que nous traversons et habitons : étudiant·es, chercheuses et chercheurs, enseignant·es refusant l’hégémonie de savoirs excluants et souvent destructeurs, des déserteur·euses de l’Éducation Nationale et de la Recherche, des militant·es de l’éducation populaire, des activistes engagé·es dans des lieux et des expériences visant à la reprise d’une autonomie politique et matérielle.
Pour d’autres rentrées !
Déjà des collectifs se rencontrent pour esquisser d’autre rentrées à Grenoble, Nantes, Toulouse, Saclay… L’invitation et la proposition que nous aimerions discuter avec vous est la suivante : en prolongeant l’esprit des reprises de savoirs (égale dignité des savoirs ; méthodes d’éducation populaire ; rapport non dominant des savoirs à la subsistance et au soin…), il s’agirait d’articuler à l’échelle de ville/campus des actions de formes diverses (à inventer localement en fonction des publics ciblés, des collectifs engagés dans la démarche et de leurs savoir-faire, des moyens spatiaux et matériels etc.) permettant de mettre les universités et les grandes écoles en chantier. De poser des gestes qui puissent nourrir l’imagination quant à ce qui pourrait se vivre et s’expérimenter dans ces lieux, et qui installent un rapport de force face aux tendances et logiques problématiques qui dominent l’éducation supérieure et de la recherche.
Voici une première liste non exhaustive de pistes à explorer :
- Et si pendant deux à quatre semaines en septembre, les étudiant·es prenaient part, en parallèle de leur rentrée officielle, à un programme alternatif qui alternerait des conf/débats/ateliers/discussions/festival (les soirs de semaine) et des chantiers (les week-end) ?
- Et si cette autre rentrée était pour les étudiant·es et personnels des campus un moment d’expérimentation politique semant des graines dont les fruits se feraient sentir dans toute la suite de l’année, avec une ambiance plus active, plus critique, plus engagée dans les assos, les syndicats et les luttes ?
- Et si on parlait pendant cette autre rentrée de ce que notre établissement ne nous apprend pas quant à l’état de la société et de la planète (1re semaine, ateliers/diagnostic du ravage écologique et social comme base commune), de comment les institutions du supérieur font souvent partie du problème tout en se présentant comme solution (2e semaine, auto-enquête sur notre établissement, notre technopole…), et de comment nous pourrions changer cela (3e semaine, incitation à l’engagement) ?
- Et si entre ces semaines, étaient organisés des chantiers les week-ends, soit sur place soit sur des lieux associatifs ou alternatifs proches ?
- Et si le dernier week-end de septembre terminait ce moment en beauté par un geste fort : participation à une mobilisation ?
- Et si nous avions la possibilité d’inventer et de vivre ces autres rentrées simultanément sur plusieurs pôles universitaires ?
- Et si tenir ces autres rentrées, c’était aussi affirmer les liens avec la société civile, les groupes militants, les collectifs de vies, en dépassant les cases disciplinaires, et les métiers dans lesquelles elles projettent ?
A Saclay les choses commencent à s’activer, des personnes se retrouvent tous les lundi pour réfléchir aux bifurcations et aux luttes depuis le plateau, iels ont rédigé une note plutôt bien sentie sur des pistes pour une autre rentrée sur le plateau.
L’équipe des reprises de savoirs (salut@reprisesdesavoirs.org) qui catalyse des chantiers depuis 2022 est prête à discuter de vos idées avec vous, à mettre en lien les diverses autres rentrées en préparation. Ces autres rentrées sont autogérées et décentralisées, elles rentrent pour nous dans le cadre de l’appel Pour des chantiers de reprises de savoirs.
Profitons de cette fin d’année pour semer les graines des ces autres rentrées, à très vite dans les luttes !
La coordo des Reprises de Savoirs
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