Toutes les valeurs ne se valent pas : contre la xénophobie d’Etat en France

Toutes les valeurs ne se valent pas : contre la xénophobie d’Etat en France

11 février 2012 1 Par Igor Babou

La haine de l’Autre, l’ignorance crasse, l’absence de culture humaniste et le poujadisme le plus étroit et égoïste sont aujourd’hui les valeurs officielles affichées par le gouvernement Français. Ce gouvernement ne nous représente pas : il porte l’antithèse des valeurs qui ont fondé notre démocratie. Il est temps de réaffirmer que les valeurs de ce gouvernement-là ne valent rien, et ne méritent même pas d’être discutées : on ne débat pas avec des fascistes, on les combat.

Deux beaux textes, en dépit de leur support journalistiques, viennent cependant d’être publiés en réponse (et non pas sous la forme de l’acceptation du débat : nuance !) aux éructations ineptes du Sinistre de l’Intérieur qui prétend que certaines civilisations seraient supérieures à d’autres. Ce sont les articles d’Edwy Plenel et de Patrick Chamoiseau, en soutien aux propos dignes et nécessaires du député antillais Letchimy, qui a été le seul à exprimer des valeurs démocratiques qu’on aurait pourtant cru partagées collectivement à l’Assemblée Nationale.

Voici les adresses où lire ces articles :

L’article de Patrick Chamoiseau, dans Le Monde : http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/02/10/aucune-excuse-aucune-sanction-soutien-total-a-m-letchimy_1641872_3232.html

Et l’article d’Edwy Plenel dans Médiapart : http://www.mediapart.fr/journal/france/090212/gueant-le-barbare-pourquoi-letchimy-raison

Au-delà de la polémique qu’ont suscité les propos tenus à l’Assemblée (et il est révélateur de notre époque et de l’état de notre débat public médiatique que M. Letchimy ait été accusé de « dérapage » dans les médias au même titre que le Sinistre de l’intérieur…), cet épisode montre qu’on se trompe complètement en faisant comme si les outrances réactionnaires de nos actuels Sinistres (je me refuse à employer le terme de « Ministres », n’ayant jamais considéré l’actuel gouvernement français comme représentatif d’une démocratie digne de ce nom), bref, de faire comme si ce « gouvernement » était en train de « chasser sur les terres du FN » comme l’exprime le cliché journalistique qui sert de viatique à la presse de tous bords. Faire comme s’il ne s’agissait que d’une tactique électoraliste, d’opérations de « communication » (autre cliché journalistique tenace), est une erreur dans la mesure où cela ne tient aucun compte du caractère à la fois symbolique et performatif de la parole politique légitimée par le vote et exprimée au nom d’une fonction ministérielle dans l’enceinte parlementaire.

Symbolique, car l’Assemblée nationale est supposée exprimer la voix collective de la nation, ses rapports de force, ses règles argumentatives, et sa conception du vivre ensemble. Performative car la parole n’a jamais été uniquement un phénomène de « communication » : elle est également l’ouverture d’un lien social, un lieu de construction du réel, un appui à la légitimation d’actions passées et à venir, et la mise en circulation publique de catégories de pensée : en particulier quand elle se déploie dans un dispositif aussi chargé d’histoire que l’hémicycle fondateur de notre démocratie.

L’expression publique à l’Assemblée Nationale de la croyance en une hiérarchie dans les civilisations est donc l’expression d’un système de pensée construit, qui assume un train de références et de connotations inscrites dans l’histoire du fascisme et des colonialismes, comme le rappellent, légitimement, Letchimy, Chamoiseau et Plenel. Plus encore, il ne s’agit plus seulement d’un système de pensée s’exprimant dans la novlangue de la « communication politique », mais d’un ensemble de mesures législatives, de dispositifs de contrôle et de contraintes, d’exclusions et de brutalités (entre autres policières). Un système de pensée et une planification de l’action publique qui rencontrent de toute évidence l’assentiment et la collaboration active d’un grand nombre de fonctionnaires, de cadres d’administrations, de policiers, ainsi que d’entreprises et d’ouvriers : il faut bien des bras, des machines et des architectes pour construire les Centres de Rétention Administrative où s’exerce la xénophobie d’Etat…

C’est cette lente résurgence de la haine de l’Autre et des égoïsmes, et son inscription dans le quotidien de nos administrations, de nos institutions, et de nos entreprises, qui est inquiétante, et pas d’illusoires opérations de « communication politique », ni de supposés « éléments de langage », pas plus que les effets d’un « storytelling » : tous ces faux concepts ne sont que des slogans creux issus du marketing médiatique. C’est Sebastian Haffner qu’il est maintenant urgent de relire (Histoire d’un allemand. Souvenirs (1914-1933), Actes Sud, 2003) : lui qui a si bien démontré l’installation de l’idéologie nazie dans les administrations, pas uniquement par la violence totalitaire, mais par les lâchetés et les abandons de chacun, dans les espaces de travail où on pouvait pourtant résister, nous montre que ce qui se passe en ce moment en France rappelle, de ce point de vue,  ce qui s’est passé dans les années 1930 en Allemagne.

Les tocards méprisables qui prétendent nous gouverner sont les initiateurs de la résurgence de cette fange morbide, charriée par leur ignorance, leur bêtise et leur égoïsme. Il est temps qu’ils dégagent ! Mais une fois ceci fait – espérons que cela ne tardera pas – le plus difficile restera à faire, car c’est l’ensemble de notre société et de nos institutions qui ont été gangrenées par les idéologies réactionnaires et libérales, qui y ont trouvé un terrain malheureusement fertile à leur convergence. Un immense travail de reconstruction du vivre ensemble et de la légitimité des valeurs démocratiques (tout simplement l’égalité, la fraternité et la liberté) nous attend : « nous », et non le prochain gouvernement, ni tel ou tel élu providentiel. C’est bien de cet assujettissement qu’il s’agit de s’affranchir aussi. Car si nous avons éliminé le pouvoir féodal en 1789, nous n’avons pas réussi à nous débarrasser de l’illusoire nécessité d’un pouvoir quel qu’il soit.