Génocide à Gaza : l’Histoire bégaie
7 octobre 2025Entre l’automne 1941 et le printemps 1942, le ghetto de Varsovie recueille de nombreuses informations sur l’assassinat des juifs, et sur les camions à gaz. Dès 1942, la presse clandestine rend compte des massacres perpétrés par les Einsatzgruppen (brigades d’extermination). Le premier rapport complet (avec la description du camp de Chelmno) est adressé au gouvernement polonais en exil à Londres en avril 1942. Entre avril et juillet 1942, une agence d’information clandestine décrit « l’extermination des juifs » (notamment dans un rapport sur le camp de Treblinka, rédigé par un évadé du camp réfugié au ghetto de Varsovie). Entre septembre 1942 et novembre 1942, les survivants du groupe Oyneg Shabbes (un historien , des journalistes et des intellectuels juifs de gauche) dressent le bilan des pertes et poursuivent leur travail d’archivage. Ils rédigent un nouveau rapport sur l’organisation clandestine du ghetto qui est adressé au gouvernement polonais en exil à Londres.
Tout cela est connu (ou devrait l’être) et l’Histoire nous apprend donc que les gouvernements alliés pouvaient connaître l’existence d’une politique d’extermination dès 1942. Du moins il y avait suffisamment d’informations pour que de lourdes présomptions existent quant à ce qu’on appellera plus tard un « génocide ». Mais rien n’a été tenté, alors qu’il aurait peut-être suffit de bombarder la ligne de chemin de fer reliant l’Allemagne à la Pologne pour sauver des milliers de vies, peut-être des millions.
Aujourd’hui, cela fait près de deux ans que nous avons toutes les preuves matérielles d’un génocide – concept qui n’existait pas encore en 1942 – en Palestine : de nombreuses ONG, des experts internationaux du droit, des historiens et des spécialistes des génocides, y compris israéliens et y compris des juifs, l’ont dénoncé. On a tout en main : on SAIT. Mais là encore, rien n’est tenté, et même pire : en France on criminalise plus qu’ailleurs les rares voix qui percent la censure médiatique, la police tabasse les militants et militantes qui tentent de dénoncer publiquement ce génocide, et quand de courageux députés et députées français (LFI uniquement, notez bien !) risquent leurs vies avec d’autres plus anonymes ou plus célèbres (Greta Thunberg, etc.) en traversant la méditerranée pour forcer le blocus illégal imposé par Israël à Gaza, ils sont traités comme des criminels, et voués aux gémonies par les médias mainstream, par certains intellectuels et par une masse de commentateurs cyniques.
Pendant le génocide au Rwanda, la France n’avait rien fait non plus. Même chose avec la Bosnie.
Mais c’est quoi le problème français à la fin ?
Il y a sans doute une névrose très profondément ancrée dans la culpabilité collective de la collaboration de notre pays avec les nazis et avec le génocide des juifs (on oublie trop volontiers les tziganes, les « malades mentaux », les infirmes et les homosexuels…), génocide qui s’est déroulé avec la collaboration très active de nos institutions et de notre police. Il y a un aveuglement, un refus de voir, un déni, une hantise de l’action, parce qu’on a fabriqué avec la Shoah un récit mythique des origines de l’Etat d’Israël, récit qui a occulté la violence coloniale et raciste de l’antiapartheid subi par la Palestine depuis 70 ans. Mais il existe aussi, sans doute, un racisme structurel de notre société qui ne peut voir dans les victimes arabes, palestiniennes, bosniaques ou noires que des coupables : il est bien connu que les subalternisés de l’Histoire ont toujours quelques raisons de l’être… Et nos institutions, si amoureuses du capitalisme et de sa domination, se projettent certainement plus volontiers dans l’Etat colonisateur, capitaliste, sécuritaire et blanc d’Israël que dans la Palestine, pour laquelle aucun récit fondateur n’est disponible ni flatteur pour nos égos d’européens. Les massacres de Sabra et Chatilla, perpétrés avec l’aide active de l’armée israélienne par des phalanges chrétiennes ? Oubliés ! Les magnifiques textes de Jean Genet ? Aux oubliettes de l’islamo-gauchisme woke ! 70 ans d’humiliation de massacres, de déportations, de non droit, de non respect des conventions internationales, de destruction des écosystèmes ? On n’en a cure. Tout a commencé le 7 octobre 2023, nous assène-t-on.
Nos institutions, nos médias et notre police remettent donc le couvert en soutenant un Etat génocidaire qui ne se cache même plus ni de ses intentions, ni de ses pratiques, toutes deux génocidaires. L’Histoire nous couvrira de honte, comme elle a couvert les collabos, les médias de propagande et la police de Pétain de honte. Mais ces gens là n’ont finalement honte de rien, jamais. La bêtise inculte et la médiocrité insensible de celles et ceux qui négligent l’histoire et se parent de valeurs universalistes mais à géométrie variable, n’ont jamais peur du jugement de l’Histoire.
Le génocide, je le crains, ira donc à son terme, et personne n’y pourra rien. On devra porter ça dans nos vies, et l’expliquer à nos enfants et petits enfants. Il y aura cependant celles et ceux qui auront tenté quelque chose, même minime, même dérisoire. Et puis il y aura les autres.


merci Igor, merci