Incendies à La Réunion, dans le cœur du Parc Naturel

Incendies à La Réunion, dans le cœur du Parc Naturel

30 octobre 2011 0 Par Igor Babou

Avec les incendies qui ravagent ses forêts, La Réunion découvre, après bien d’autres régions du monde dont celle que j’ai pu étudier en Argentine (Babou, 2009), elle aussi labellisée au patrimoine mondial par l’Unesco, qu’un label “Patrimoine mondial” n’est pas une garantie de protection du patrimoine. En Argentine, mes informateurs biologistes m’expliquaient que le parc de la Peninsula Valdés (parc du Patrimoine mondial, comme le parc de La Réunion) était finalement moins protégé depuis sa labellisation par l’Unesco qu’avant. D’autres travaux ethnographiques menés sur d’autres parcs du patrimoine mondial pointent également certains impacts négatifs d’un label Unesco, dont, paradoxalement, l’augmentation de la pollution, l’urbanisation sauvage, et l’explosion des prix du foncier (Ramousse et Salin, 2007).

Paradoxe ? Non, pas forcément quand on garde en tête que le contexte de ces labellisations c’est l’enjeu du développement durable à travers le tourisme (supposé être une industrie “verte”, non polluante, ce qui n’est pas le cas…). On néglige donc les impacts du développement et du tourisme sur le patrimoine quand ces labels “Patrimoine mondial” sont décernés. Par ailleurs, les tutelles politiques locales mettent souvent plus leur énergie et leurs moyens dans l’exploitation touristique du territoire labellisé que dans sa protection.

La Réunion, comme la Peninsula Valdés est peut-être, indirectement, en train de faire les frais d’une conception restée mercantile de la nature, nature encore et toujours pensée comme une “ressource” à exploiter, plus que comme un patrimoine à protéger. N’ayant pas mené de recherche sur le Parc naturel de La Réunion, je me garderai de toute interprétation hâtive. Mais la catastrophe causée par l’incendie est bien réelle. La question qui se pose (et que nombre de commentateurs posent) est celle de la faiblesse des moyens locaux de prévention, de détection et de lutte contre les incendies. Ainsi, le label “Patrimoine mondial” a-t-il permis à l’île de se doter en moyens de détection (tours de guet, postes de vigie ((j’ai longtemps vécu dans le sud de la France, dans une région à fort risque d’incendie. Outre la présence de Canadairs, et la pratique de pistes coupe-feu, la prévention passait par la construction de tours de guet et la mobilisation de “vigies” : tous les été, des étudiants ou des travailleurs étaient embauchés pour s’y poster avec des jumelles et surveiller, en relation avec les pompiers, les éventuels départs d’incendies. Je ne sais pas si à La Réunion ces dispositifs existent)), etc.), de prévention (information auprès des touristes, gardes parc en nombre suffisant sur le terrain, etc.), et de lutte contre les incendies (avions bombardiers d’eau, pompiers en nombre suffisants localement, formations techniques des pompiers et des pilotes, etc.) ? Ou l’accent a-t-il plutôt été mis sur les retombées économiques du label en termes de développement touristique ? L’Unesco met-elle en place un réseau d’expérience pour permettre aux parcs nouvellement inscrits à la liste du Patrimoine de profiter de l’expérience des parcs inscrits avant eux ? A ma connaissance, non. L’Unesco met-elle en place des observations régulières des effets de ses labellisations, avec des observateurs indépendants ? A ma connaissance, là encore, la réponse est négative. Une réflexion approfondie est-elle menée dans les territoires sur l’articulation entre conservation de la nature et développement économique ? A ma connaissance, l’actuel dogme du “développement durable”, érigé en modèle de gestion territoriale, présuppose que ces deux aspects (conservation et développement) seraient parfaitement compatibles. Pourtant, bien des observations scientifiques montrent le contraire.

Je reste persuadé qu’on a besoin de mener des recherches pour comprendre les enjeux et les effets de ces processus de patrimonialisation : pas seulement des recherches naturalistes, mais des recherches en socio-anthropologie de l’environnement et du développement. Sans quoi, les populations locales, leurs représentants politiques, ainsi que les gestionnaires de l’environnement iront de désillusions en désillusions.