Racisme ordinaire dans un éditorial du JIR et dans un blog réunionnais

Racisme ordinaire dans un éditorial du JIR et dans un blog réunionnais

17 octobre 2012 Non Par Igor Babou

Lorsque je suis arrivé à La Réunion, j’en avais l’image un peu naïvement idyllique qu’en ont tous les touristes : celle d’un pays où, contrairement à la France métropolitaine, les communautés (religieuses ou”ethniques”, pour autant que ce mot ait un sens ici, ce dont je doute : disons les couleurs de peau pour faire simple) vivaient dans le cadre de relations apaisées, si ce n’est en harmonie. De nombreuses discussions avec des collègues m’ont cependant alerté sur la naïveté de cette représentation, et sur la présence récurrente d’une “ligne de couleur” encore vivace. Mais jamais je n’aurais imaginé retrouver ici l’expression d’un racisme décomplexé dans un éditorial de la presse écrite, qui plus est dans le cadre des élections à la présidence de l’université.

En effet, dans l’éditorial du Journal de l’ïle de La Réunion (JIR) du 04/10/2012, dans le contexte de remarques portant sur les modes de recrutement à l’université,  Yves Mont-Rouge a tenu des propos explicitement racistes : ils désignaient clairement un groupe de personnes comme n’ayant pas leur place dans le fonctionnement universitaire au motif de leur origine ethnique ou géographique. La formulation exacte d’un passage de cet éditorial, dans laquelle j’insère des commentaires entre crochets pour faciliter la lecture aux non réunionnais, semble tout droit sortie de la presse française antisémite des années 1930, qui visait les juifs dans des termes proches :

Il y a, comme ça, certaines personnes qui arrivent toujours à retomber sur leurs « pattes » en suivant le sens du vent. C’est le cas du recteur Mostafa Fourar qui, lui aussi, se serait rapproché de l’équipe d’Annette et de Bareigts à Saint-Denis. Les mauvaises langues prétendent même qu’il aurait pris récemment sa carte du PS, lui qui avait été intronisé au rectorat de la Réunion par Valérie Pécresse, lorsque Nicolas Sarkozy était encore au pouvoir. Il ne devrait pas bouger tout de suite. Sans doute pas avant l’année prochaine. Gilbert Annette et les parlementaires de la 1re circonscription l’apprécient beaucoup. Mohamed Rochdi [actuel présent de l’université] aussi, qui en a bien besoin pour garder son poste de président de l’université. Les détracteurs de l’actuel président crient au scandale et même à la « fraude » électorale. Ils constatent impuissants que Fourar protège Rochdi. Les deux se connaissent, ils viennent du même « bled ». Les “dalons” [terme signifiant “amis” en créole] de l’Afrique du Nord seraient bien lotis à l’université, certains occupant même des postes clés. Idem pour quelques “autochtones alimentaires” qui montent de grade en un coup de baguette magique.

Tout d’abord, comment ne pas s’indigner en tant que citoyen de ce pays, attaché à des valeurs républicaines de tolérance, et opposé à toute forme de racisme et de xénophobie ? Ces propos tenus dans le JIR s’inscrivent dans des rhétoriques bien connues et nauséabondes qui ont souvent été dans l’Histoire les prémisses de violences physiques inacceptables.

Ensuite, au delà de l’émotion provoquée par cet éditorial dans la communauté universitaire, rappelons que la loi sanctionne l’expression publique de propos discriminatoires, en particulier dans la presse. La provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, en raison de l’origine ou de l’appartenance raciale, ethnique, nationale ou religieuse constitue un délit.

Enfin, contacté par des collègues universitaires qui s’indignaient contre cet éditorial, l’éditorialiste en question s’est contenté d’ironiser à leur propos dans son éditorial suivant, ajoutant ainsi le mépris et le refus de débattre au racisme ordinaire. C’est pourquoi je n’ai pas jugé utile de m’adresser à lui, et que je me contenterai de publier cet article sur mon blog personnel.

J’ai également constaté que la rhétorique discriminatoire du “bled” avait été exprimée quelques jours plus tôt, dans le contexte d’une critique à l’encontre de l’actuelle présidence menée par un auteur anonyme – sans doute un universitaire – dans le blog Z’Info 974 (http://www.zinfos974.com/DEMOCRATIE–De-qui-se-moque-t-on_a47610.html). Ces éléments d’intertextualité semblent attester l’existence d’une convergence médiatique, plus ou moins concertée, dans laquelle s’inscrivent le JIR et Z’Info 974, et qui vise non pas à éclairer le lecteur sur les enjeux d’une élection universitaire sur la base d’enquêtes journalistiques ou de faits vérifiables, mais à prendre partie dans ce débat sur des bases au mieux politiciennes, au pire xénophobes. Ceci s’inscrit dans la confusion entre débat universitaire et débat politicien qui dure depuis le début du processus électoral, confusion soigneusement entretenue par certains “collègues” qui s’épanchent régulièrement, anonymement ou nominativement, dans Z’Info 974 et dans les commentaires du site web du JIR.

Je suis d’autant plus à l’aise pour m’élever contre cette conception du travail journalistique et du débat universitaire que j’ai refusé de prendre parti entre les deux actuels candidats à la présidence de l’université, et que j’ai même co-signé un texte suggérant une troisième voie. Mon propos n’est donc pas de soutenir l’un ou l’autre des candidats.

Formant quotidiennement de futurs professionnels du journalisme à qui notre département inculque des valeurs d’éthique, de tolérance, d’esprit critique et de rigueur argumentative, je suis sidérés par le contre exemple que constitue cet éditorial qui s’oppose à toute déontologie journalistique.

Il suffirait pourtant de se pencher sur les statuts de l’université, sur le fonctionnement des commissions de recrutement (qui est national, et non local) et sur le Journal Officiel (qui est public) pour éviter approximations, erreurs factuelles et opinions tendancieuses. Si ce travail d’investigation avait été réalisé par le JIR, cela lui aurait permis d’alimenter le débat public avec des éléments factuels et vérifiables, plutôt qu’avec des opinions infondées ou avec des propos racistes.