Soutenons Danièle Obono contre le journalisme raciste de la France moisie

Soutenons Danièle Obono contre le journalisme raciste de la France moisie

2 septembre 2020 0 Par Igor Babou

Le 2 septembre 2020, le journaliste Jean-Jacques Bourdin, s’adressant à la députée Danièle Obono lors d’une interview sur son plateau de BFM TV, lui demande : “Vous êtes capable de dire vive la France ?“. Elle est la seule personnalité politique à qui on ait exigé cette déclaration, par deux fois qui plus est, puisque la première fois c’était en 2017. En 2017 comme en 2020, la (f)Rance médiatique moisie exige d’une personne à la peau noire l’expression publique de son amour pour le pays. Acte d’humiliation publique qui s’ajoute à des siècles d’humiliations coloniales puis postcoloniales.

Le racisme décomplexé des journalistes la (f)Rance moisie s’étale donc maintenant au grand jour : après le “récit” et la caricature raciste de Valeurs Actuelles, c’est au tour de l’infect Jean-Jacques Bourdin de reprendre le flambeau de Je suis partout, le torchon pro-nazi des années 30.

Que ce racisme médiatique ait une dimension structurelle ne fait aucun doute pour moi. D’une part parce que Bourdin ne réalise pas ses émissions tout seul. Toute une équipe l’entoure, et on n’a donc pas affaire à un simple dérapage, ni à une “opinion” individuelle. D’autre part, parce que des discours à tonalité raciste, plus ou moins explicites, peuvent être régulièrement relevés dans la presse grand public de tous bords politiques. Je le dénonce régulièrement depuis des années, comme dans le cas de Marianne, du Monde, ou du Journal de l’île de La Réunion.

Pas plus que Danièle Obono, jamais je ne dirai “Vive la France” et surtout pas en réponse à des injonctions comminatoires d’un autre âge. Car si l’identité française consiste à harceler des gens publiquement en raison de leur couleur de peau ou de leur origine géographique ou ethnique, alors je préfère être déchu de ma nationalité.

J’apporte donc ici mon soutien total à Danièle Obono contre la campagne raciste écœurante orchestrée par les médias de préfecture.

Durant les années 30 en France, la presse antisémite et pro-nazie joua un rôle certain dans la propagation des idéologies nauséabondes qui conduisirent à la collaboration, à la Rafle du Vel d’Hiv, aux camps d’internement et de déportation en France (qui menaient ensuite aux camps d’extermination en Allemagne), etc. On dirait qu’on en est arrivé au même point aujourd’hui, puisque les idéologies nazies ressurgissent en Europe, et notamment en France, dans la police nationale et maintenant de manière à peine plus euphémisée dans les médias grand public. On remplace simplement les boucs émissaires d’alors par les personnes de couleur ou issues de l’immigration. En parallèle, on enferme des milliers de pauvres gens dans les Centres de Rétention Administrative, ou on les laisse mourir par dizaines de milliers dans la mer Méditerranée. Avec les mêmes “disruptions” des normes de la parole publique, encouragées et pratiquées activement par les personnalités politiques de tous bords (du PS avec le Printemps Républicain, au Rassemblement National, en passant par La Raclure en Marche).

Les intellectuels et universitaires, peu actifs, semblent murés dans leurs peurs du déclassement et leurs compromissions avec le libéralisme radicalisé et postcolonial, et dans leurs adhésions fréquentes à la dénonciation revancharde et réactionnaire des pseudo “séparatismes” (études décoloniales, études de genre, etc.). Les journalistes, souvent précarisés, sont soumis aux dictats d’entreprises médiatiques en constante concentration industrielle, ce qui ne favorise ni leur indépendance d’esprit, ni la pluralité politique du débat public. Quant à la petite bourgeoisie laborieuse et médiocre des éditorialistes qui œuvrent à la gloire de la pensée de préfecture ou au service de l’autoritarisme de Marché, elle ne vaut juste rien.

Les “heures sombres” c’est maintenant. L’indifférence n’est pas permise : ce serait une complicité active.

Je voudrais rappeler ici que ma discipline universitaire (les Sciences de l’Information et de la Communication) cette sorte de sociologie des médias devenue a-critique et qui forme tant de journalistes et de communicants au service du marché et des médias de préfecture, émerge et se préfigure en 1937 à l’Institut de Science de la Presse (futur Institut Français de Presse de l’université Panthéon-Assas), dans le cadre d’une inquiétude face à la propagande nazie. C’est du moins l’un des aspects de sa création (qu’il ne faut cependant pas surévaluer ni mythifier). J’ai eu souvent l’occasion de rappeler cette fondation aux étudiant.e.s des formations où j’intervenais qui n’en avaient jamais entendu parler. C’est bien dommage, quand on arrive en Master ! Mais cela montre l’étendue de l’érosion des formations théoriques, historiques et critiques dans nos disciplines où l’histoire des idées a fait place, bien trop souvent, à des apprentissages et à des objectifs uniquement professionnels.

La déconstruction critique de la propagande médiatique, nos formations ne la pratiquent plus vraiment : elles sont malheureusement devenues bien trop dépendantes des subsides du marché de l’information et de la communication et de ses acteurs professionnels pour s’y livrer sérieusement. Il serait pourtant urgent de s’y remettre : simple question de responsabilité sociale et de prise de conscience du contexte politique. Du moins si l’on veut sérieusement contribuer à un monde habitable et à un avenir qui ne serait pas l’éternel retour de la violence, des exclusions et du racisme.

Aujourd’hui, plus que jamais, les universitaires, les intellectuel.le.s, les étudiant.e.s, et toutes celles et ceux qui peuvent s’exprimer sur leurs lieux de travail ou dans la vie familiale, doivent prendre publiquement la parole contre le racisme systémique des médias grand public. Ne pas le faire revient à collaborer et à abandonner toute idée de responsabilité sociale. Au-delà des prises de parole, ce sont nos enseignements qui sont, de toute évidence, en échec : ils doivent se transformer si l’on veut transformer le monde. Car c’est l’enseignement qui préfigure, au moins en partie, la société de demain.